François Sauvadet : « Investir dans tous les territoires pour mieux y vivre »

François Sauvadet, président du Conseil départemental de la Côte-d’Or, ne fait pas mystère sur sa candidature pour les prochaines élections départementales en 2021. Déterminé à plus d’un titre, il nous explique dans cette interview ce qui fait sens dans sa motivation.

Dijon l’Hebdo : Si vous deviez retenir quelques moments essentiels de la crise sanitaire que nous avons vécue, quels seraient-ils ?

François Sauvadet : « Les grands moments ne manquent pas. D’abord la formidable mobilisation des soignants, des personnels d’EPAHD -qui ont pris des risques personnels- mais aussi de tous ceux qui sont intervenus dans des conditions très difficiles pour assurer le quotidien de nos concitoyens. Il faut les remercier car ils nous ont aidés à passer une crise inédite, d’une violence inouïe. Il y a eu un formidable élan, un formidable esprit de solidarité qui ont permis au pays de faire face. Je souhaite aussi adresser une pensée aux nombreuses familles qui ont été touchées dans leur chair.

Le confinement aura aussi permis de renouer avec une alimentation de proximité. Les gens ont découvert ou redécouvert la qualité des producteurs locaux. Cette crise, aussi dure qu’elle a été, a invité chacun à réfléchir sur sa façon de vivre et d’être ».

DLH : Et le Département est resté particulièrement actif durant cette période où la France s’est confinée…

F. S : « Cela a été un véritable défi. Nous avons d’abord veillé à protéger nos agents comme les entreprises ont pu le faire avec leurs salariés. 1 100 d’entre eux ont été en télé-travail, une pratique qui ne leur était pas inconnue. La Côte-d’Or a été un département précurseur. Je rappelle que quand j’ai été ministre de la Fonction publique, j’ai mis en place les conditions de l’activité à domicile. Le rôle de ces agents a été essentiel dans la sortie crise.

Mais on a bien vu aussi qu’avec le confinement de nouvelles difficultés sont apparues : des tensions sociales, des violences faites aux femmes, aux enfants… C’est pourquoi nous avons mis en place des dispositifs de soutien aux familles pour assurer toutes les protections nécessaires avec, par exemple, des numéros d’appel fonctionnant 7 jours sur 7… Le Département a été très actif partout, au quotidien, sur tout le territoire de la Côte-d’Or y compris dans l’agglomération. Et je me réjouis aujourd’hui encore d’avoir pris la décision, parfois contestée par certains, de maintenir toutes nos agences solidarité-familles, y compris à Dijon. On est même venu en soutien de l’Agence régionale de Santé notamment sur la distribution des masques. Les départements, au travers de leur présence en ville, dans les quartiers, à la campagne, dans les villages représentent une grande chance pour la France ».

DLH : En cette période de crise sanitaire, le Département de la Côte-d’Or a souhaité « demeurer plus que jamais aux côtés des communes et des intercommunalités ». Comment se traduit ce soutien ?

F. S : Je n’aime pas les polémiques et je cherche à m’en éloigner mais quand j’ai lu chez un de vos confrères que le maire de Dijon ironisait sur l’action du département dans les communes et les quartiers, me présentant comme le « président des trottoirs », je réponds tout simplement que je suis fier d’investir dans tous les territoires pour permettre aux habitants de mieux y vivre. Nous assistons à un véritable tournant sociétal et sociologique et j’adhère pleinement à cette aspiration légitime de nos concitoyens à être considéré, soutenu et protégé là où on habite. Le Département s’inscrit pleinement dans cette démarche.

Nous avons mis de côté la communication pendant toute cette crise pour privilégier l’action. Nous avons acheté plus de 4 millions de masques. Durant cette période compliquée, nous avons accompagné les EPAHD dont nous assurons la co-tutelle.

Les communes dont on ne cessait pas de nous rabâcher depuis des années qu’elles étaient trop nombreuses, ont tenu un rôle essentiel durant la crise sanitaire. Chaque semaine, nous les avons tenues informées des dispositions que nous prenions. Nous avons eu des échanges réguliers avec les présidents d’intercommunalités. La solidarité a joué à tous les instants et à tous les niveaux avec notamment un plan de soutien de 24 millions d’euros que nous avons voté le 15 juin dernier. La commande publique est très importante pour les conditions de la reprise. C’est pourquoi nous avons tenu à lancer au plus vite les investissements. Nous allons aussi beaucoup nous impliquer dans les deux nouveaux appels à projets que sont la transition numérique -pour éviter de nouvelles fractures liées aux usages du numérique- et la transition écologique. Nous sommes prêts à soutenir tout ce qui permettra de faire face au changement climatique ».

DLH : Comment le Département s’organise-t-il pour accompagner au mieux la vie économique et sociale qui a repris son cours ?

F. S : « C’est notre responsabilité que d’être aux côtés des familles en difficulté. Je les invite à rencontrer nos travailleurs sociaux dès qu’ils vivent des difficultés. Nous avons mis en place des dispositifs pour les accompagner efficacement. Nous agissons avec les communes, les CCAS. Je le dis aussi pour les collégiens. Aucun d’entre eux ne se verra refuser l’accès à la cantine au motif que ses parents n’auraient pas les moyens financiers. Ce sont des engagements simples de solidarité.

On a lancé un plan de relance massif bien supérieur, à l’échelle du département, à celui de la Région. Vous savez, la crise est devant nous et on ne mesurera que dans quelques mois ses effets. J’ai souhaité qu’on aide aussi tous les travailleurs non salariés, les commerçants, les artisans… La loi NOTRé est passée par là et l’économie relève, pour l’essentiel, de la compétence de la Région. Néanmoins, nous avons mis en place une aide de 1 500 € par personne et 3 000 € par couple. Nous souhaitons aussi les aider, dans un deuxième temps, dans leur volonté d’adapter leurs commerces aux nouveaux modes de consommation. On a vu, pendant le confinement, l’importance de la livraison à domicile, du drive.

Notre volonté, sans cesse réaffirmée, c’est d’être présent sur tout le territoire, à la ville comme à la campagne. On ne peut plus opposer l’une et l’autre. C’est fini. Dépassé. C’est cette notion d’équilibre qui représente l’avenir. On aime la ville pour ce qu’elle peut apporter en vitalité. On aime tout autant la campagne pour ce qu’elle peut apporter en qualité de vie ».

DLH : Le 11 juin dernier, vous avez présenté le plan départemental de solidarité et de relance dans les travaux publics. Quels en sont les points principaux ?

F. S : « C’est un plan qui a été élaboré en étroite collaboration avec Vincent Martin, président de la FRTP. Nous avons décidé de faire des avances de trésorerie de 30 à 40 % pour les marchés publics dès le début des chantiers. Le conseil départemental est aujourd’hui le premier investisseur en Côte-d’Or. 100 millions d’euros sont fléchés en direction des travaux publics. La même somme est d’ores et déjà programmée pour l’année prochaine. Pour le très haut débit bien évidemment mais aussi pour les routes. J’ai décidé de suspendre la clause d’insertion. Les entreprises connaissent des difficultés, on ne va pas leur imposer cette mesure. Et parallèlement, pour favoriser le retour à l’emploi, j’ai autorisé le cumul RSA et activités dans les métiers en tension comme, par exemple, dans les travaux publics ».

DLH : Le conseil départemental des jeunes a, lui aussi, apporté sa pierre à l’édifice…

F. S : « Ils ont réalisé un clip pour remercier tous les soignants. Cela m’a particulièrement touché, ému même. Et pour être plus concret encore, ils ont concocté et distribué eux-mêmes des paniers solidaires, 100 % Côte-d’Or, aux soignants naturellement mais aussi aux pompiers, aux gendarmes… à ceux qui incarnent une parcelle de la République et qui ont compté dans cette période de crise.

C’est formidable de voir ces jeunes afficher autant de maturité. Ils ont cette volonté de faire bouger les choses. Tant mieux même si ça dérange, si ça bouscule. C’est plein de promesses pour l’avenir d’autant qu’ils expriment beaucoup d’attachement pour leur département, à la terre où ils habitent. Ils ont l’écologie chevillée au corps mais une écologie responsable ».

DLH : Emmanuel Macron prêt à repousser les élections régionales à la fin de l’année 2021, voire en 2022… Une bonne idée ?

F. S : « J’ai eu l’occasion, avec Dominique Bussereau (1), de rencontrer longuement Emmanuel Macron. Le Président a insisté sur l’importance des communes et des départements qui ont joué un rôle essentiel durant cette crise sanitaire.

Sur le sujet des élections régionales, même si je comprends ses arguments, je lui ai dit que ce n’était pas une bonne idée de repousser les échéances électorales. On a besoin de stabilité et il faut clore les cycles électoraux qui ont débuté avec les municipales, qui vont se poursuivre avec les sénatoriales, et enfin s’achever avec les départementales et les régionales l’an prochain. Car n’oublions pas qu’en 2022 ce sera le tour de la présidentielle et des législatives ».

DLH : Quel bilan tirez-vous aujourd’hui de la fusion des régions Bourgogne et Franche-Comté ?

F. S : « Ceux qui ont vendu les grandes régions comme étant des outils formidables doivent aujourd’hui rendre des comptes. C’était un mensonge public. On n’a pas fait d’économies. On dépense plus en fonctionnement et on s’est éloigné des réalités du terrain, sans directions fortes. Regardez où on en est dans le rapprochement des universités. Où sont les grands plans pour l’industrie automobile, l’industrie pharmaceutique… ? Marie-Guite Dufay, dont on connaît le prisme franc-comtois très marqué, a passé beaucoup trop de temps pour organiser une grande région qui n’est toujours pas en état de marche cinq ans après. Plutôt que de dénoncer le millefeuille de la République, j’aurais préféré qu’on reste sur deux régions. Car pour moi la bonne question est la suivante : quel est le bon échelon d’intervention pour agir au plus près des citoyens ?

Et puis nous annoncer, à la dernière session, un plan d’urgence de 400 millions d’euros

qui ne sera voté que le 9 octobre prochain et financé au budget à la fin de l’année… Franchement, ce n’est pas sérieux. Mme Dufay a parlé d’un plan « Blitzkrieg »… Je ne vois vraiment pas où est la guerre éclair ! On est là plutôt dans une stratégie digne de la ligne Maginot. Je l’ai dénoncé en vain. Aujourd’hui, ma volonté, c’est de me consacrer pleinement à mon département ».

DLH : L’expérience du Covid-19 ne serait-elle pas justement de nature à relancer le débat sur les compétences des régions, plus particulièrement sur la santé ?

F. S : « C’est un point que j’ai évoqué avec le Président de la République. Il faut revoir le fonctionnement des agences régionales de santé. On a pu mesurer, pendant la gestion de la crise, leur vision très technocratique. Alors que nous sommes en co-gestion sur tous les EPAHD, l’ARS a refusé de nous communiquer des informations. Rendez vous compte qu’il a fallu passer par Paris pour savoir s’il y avait ou non des cas de Covid dans les établissements. Il nous faut nous appuyer sur une politique sanitaire qui redonne toute sa place aux personnels soignants. Le Ségur ne doit pas être simplement une façon de dire qu’on remettra à demain ce qu’on doit faire aujourd’hui. Redonnons confiance aux soignants, reconsidérons les métiers de soins, y compris matériellement, ayons un véritable plan de formation avec la Région sur les métiers en tension, et tenons les engagements sur les plans stratégiques. En dehors des CHU à vocation régionale, le département est l’échelon le plus pertinent pour organiser une offre médico-sociale ».

DLH : La mauvaise nouvelle, c’est que la région Bourgogne – Franche-Comté n’a pas été retenue pour expérimenter le pilotage de Pôle emploi ?

F. S : « Je le regrette et je me pose une question : Marie-Guite Dufay le voulait-elle vraiment ? J’observe simplement qu’on ne peut pas avoir une politique de formation et d’insertion si on ne travaille pas avec Pôle Emploi et les départements. La présidente de région préfère jouer au coucou et faire son nid avec les politiques départementales pour montrer son efficience. J’en veux pour preuve l’opération « J’veux du local ». Une initiative départementale qu’elle a repris à son compte. Mais bon, on est habitué. Le plus important, c’est qu’on soit tous engagés pour promouvoir une production locale ».

DLH : Vous avez aussi pointé du doigt la politique de la région en matière d’agriculture, un thème qui vous est cher. Que faire pour soutenir davantage ce secteur ?

F. S : « D’abord une politique de filières. On a une grande chance dans notre région, c’est la diversité des productions agricoles. On est une petite France. On a redécouvert cette chance au moment du confinement. Ce que j’attends de la région qui a la compétence économique, c’est qu’elle soutienne chaque filière avec des objectifs précis notamment dans le cadre de l’insertion. C’est ce que le département de la Côte-d’Or fait déjà à son échelle. On a acheté 20 hectares de terre à Perrigny-lès-Dijon pour permettre à des jeunes de travailler dans le maraîchage. On va investir dans une légumerie, je l’espère à Villers-les-Pots. On a investi dans une parcelle de vigne « Bourgogne – Côte-d’Or » pour mesurer les effets du changement climatique. Et je n’oublie pas le domaine de l’eau. On a la chance d’être en Côte-d’Or sur le toit du monde occidental, comme le disait Vincenot, avec trois bassins qui irriguent toutes les mers. Tout cela est important. Chaque fois que j’en parle à Mme Dufay, elle me propose de la revoir… Même les sujets de biodiversité sur lesquels nous sommes très engagés en Côte-d’Or… C’est plus un regret que j’exprime qu’une critique. Je suis disponible pour en parler parce que nous en avons les compétences. Même avec François Rebsamen dont je ne partage pas la vision archaïque du repli métropolitain ».

DLH : C’est tout le sens du dispositif « J’veux du local – Le goût de ma Côte-d’Or » que vous avez lancé en collaboration avec la chambre d’agriculture ?

F. S : « En partenariat avec la Chambre d’agriculture, nous avons imaginé cette opération baptisée « J’veux du local – Le goût de ma Côte-d’Or » dont l’objectif était de recenser tous les producteurs locaux qui veulent vendre leurs marchandises en direct et de mettre leurs coordonnées à disposition des Côte-d’Oriens. La vente directe, c’est l’avenir. Vendre sans aucun intermédiaire, c’est l’assurance pour l’agriculteur de mieux vivre de son travail et pour le consommateur de manger des produits sains et de qualité. Toutes les informations relatives à chaque producteur sont disponibles sur le site web du Département et accessibles grâce à une carte interactive. Les Côte-d’Oriens intéressés peuvent donc géolocaliser des producteurs pas trop loin de chez eux. Le Département et la Chambre d’agriculture deviennent ainsi des facilitateurs. Il faut qu’on arrive à créer une sorte d’« Amazon » local pour organiser cette distribution. Nous lancerons aussi prochainement dans les restaurants le repas 100 % Côte-d’Or. Je me réjouis que notre département soit au coeur de ce processus de relance avec les producteurs et tous les acteurs du territoire ».

DLH : Et vous êtes toujours aussi déterminé à poursuivre votre engagement à la tête du département après les élections départementales de 2021 ?

F. S : « Déterminé, je le suis à plus d’un titre. Les récents événements sanitaires ont montré que nous avons les capacités à réagir. Et le Département a démontré qu’il était incontournable. J’espère que le débat que nous avons avec François Rebsamen va évoluer. C’est un débat de société : considère-t-on qu’il y a d’un côté Dijon et de l’autre le reste ou bien considère-t-on que Dijon est en Côte-d’Or, qu’elle est une chance pour la Côte-d’Or et que la Côte-d’Or est une chance pour Dijon ? Je ne désespère pas, même si parfois je m’impatiente, de faire admettre que Dijon sans la Côte-d’Or, sans Beaune, sans la Saône, sans les canaux… c’est un affaiblissement. Tous ces messages, j’ai l’envie de continuer à les porter avec cette majorité au service des Côte-d’oriens. Je voudrais travailler ces prochaines années à faire en sorte que notre département soit une des terres du futur qu’on peut bâtir malgré des intérêts contradictoires. J’annoncerai ma candidature le moment venu. Pour l’instant, je suis au travail et je prépare la rentrée ».

DLH : Quelle interprétation faites-vous de l’abstention record qui a marqué les élections municipales ? Que faire pour motiver les électeurs à reprendre le chemin des urnes ?

F. S : « C’est une source d’inquiétude dans la mesure où il s’agissait des élections municipales qui sont réputées être parmi les plus populaires, les plus motivantes. En même temps, je comprends que les circonstances aient pu dissuader un certain nombre de personnes d’aller aux urnes. On n’est pas sorti de la pandémie. Le risque Covid existe toujours. J’observe simplement qu’on a plus voté dans les campagnes que dans les villes. La même où il y a plus de proximité. L’ensemble des élus doit se ré-interroger sur la façon dont on mène une campagne électorale. L’expression de « village », y compris de « village urbain » me plaît bien. J’y vois derrière des communautés de vie dans des espaces visibles. C’est cette proximité qui pourrait remettre l’électeur sur le chemin de la confiance. Le risque, c’est de se retrouver dans un système à l’américaine où moins de la moitié de la population décide du destin d’un pays, les autres devenant des consommateurs de l’action publique. On ne peut pas laisser se développer un système dans lequel il y aurait une démocratie représentative qui serait fragilisée et, dans le même temps, une démocratie participative citoyenne qui prendrait le dessus. Ce serait la fin de la démocratie et le début d’une République des lobbies et des groupes de pression. Et ça, je ne le souhaite pas pour notre pays ».

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre

(1) Président de l’assemblée des départements de France.