Les masques tombent…

Le plan de navigation pour aborder aux rivages du déconfinement a comporté bien des incertitudes : port du masque obligatoire dans certaines situations, simple préconisation dans d’autres. Bien avant le 11 mai, on voyait des files d’attente interminables se constituer devant les trop rares pharmacies de Dijon qui en avaient reçus, ou à l’entrée de plusieurs grandes surfaces qui avaient eu du flair. Cet objet rarissime était alors vendu au compte-gouttes et à prix d’or, qu’il soit lavable ou dit « chirurgical ».

Selon des chiffres fournis par l’Insee, de 6 centimes par pièce avant le Coronavirus, on était passé de 50 centimes à 90 centimes à l’unité. A Paris, il fallait tabler sur une surenchère due à une spéculation effrénée de fabricants, de quelques officines de pharmacies et d’autres intermédiaires peu scrupuleux. Entre temps, des maires avaient sollicité le concours de couturières bénévoles, de petits artisans du textile implantés localement afin de procéder à des distributions auprès des administrés. Le masque comme tout autre objet du quotidien – obéissant à l’offre et la demande – a aujourd’hui perdu plus de 50% de sa valeur marchande. Parallèlement, le Covid-19 n’ayant que peu contribué à la sagesse des nations, on en importe depuis un mois massivement de Chine ! Et nous voilà confrontés à la situation suivante : alors que les files d’attente ont disparu des trottoirs, de nombreux commerces dont les pharmacies se retrouvent avec des stocks importants. D’autant que parvenus à la fin juin, bien des citoyens ne ressentent plus – erreur ! – la nécessité d’en acquérir et d’en porter.

Les dommages collatéraux générés par cette insouciance sont de deux ordres : des clusters du Grand Est, notamment la région de Mulhouse, connaissent un regain de l’activité virale, et une poignée de fabricants français du textile se retrouvent avec des tonnes d’invendus sur les bras… A l’instar de la psyché humaine, les masques sont en effet de texture complexe, notamment lorsqu’ils ont été conçus par des artistes ou des couturières à l’audacieuse imagination. La rue offre des exemples époustouflants : tissus bigarrés, cotonnades imprimées façon toile de Jouy ou paysages exotiques, motifs humoristiques ou bien … porte de voix de clubs sportifs toujours en phase d’hibernation covidienne !

Enfin, il y a les masques en dentelle raffinée, sophistiquée, parfois incrustés de fils dorés, évoquant Watteau ainsi que la Grande Epoque de Visconti. Toute ce fantastique pare ainsi nos nez et nos museaux, transcendant avec bonheur, avec décontraction ou esthétique la trivialité de la pandémie. La poésie pointe le bout du nez dans un quotidien chaotique, apportant une petite virgule de joie de revivre. Voilà qui s’avère revigorant pour l’esprit, renoue avec le théâtre de la plus haute-antiquité où – visage masqué – les acteurs interprétaient les pièces d’Eschyle, d’Euripide, de Plaute. Un signe destiné au public d’alors pour le pénétrer davantage du sens du sacré : chaque spectateur percevait ces comédiens comme des héros, des demi-dieux qui faisaient lien entre la terre et l’Olympe.

En 2020, le masque se borne essentiellement à posséder des vertus prophylactiques. C’est sans conteste un pare-feu contre le Covid-19. Est-ce un moyen de ne plus avoir le nez sur le guidon et de parvenir à avoir du recul par rapport aux actuels accès de fièvre de la planète ? Tel le masque, la question reste sur toutes les lèvres …

Marie-France Poirier