Le Mandarin merveilleux (en hongrois A csodálatos mandarin) Op. 19, Sz 73, est un ballet-pantomine en un acte composé par Bela Bartok dont les ébauches ont été achevées en 1918-1919 sur un livret de Menyhert Lengyel d'après un conte chinois.
Terminé en 1924, il fut créé à l'Opéra de Cologne, le 27 novembre 1926 : le sujet cru et franchement érotique du ballet provoqua un vif scandale, les représentations furent suspendues et les autorités hongroises l'interdirent. Bartók transforma sa musique en une suite pour orchestre symphonique créée le 15 octobre 1928, et une adaptation pour deux pianos.
Composé au lendemain de la Première Guerre mondiale, la même année que la création de son opéra Le Château de Barbe-Bleue (écrit en 1911), Le Mandarin merveilleux est le deuxième ballet-pantomime de Bartók après Le Prince de bois (1914-1916) monté en 1917.
Devant une maison louche des bas-quartiers d'une ville sordide et chaotique, une prostituée attire les passants vers trois mauvais garçons qui les dévalisent. Deux quidams sans le sou, un vieux beau et un jeune timide sont refoulés par les voyous. Arrive un riche mandarin, pigeon idéal, qui se laisse séduire par une danse lascive, une chasse voluptueuse. À trois reprises, par étouffement, coups de poignard et strangulation, les truands essaient d'assassiner le Chinois, mais, bien que blessé, il semble immortel. Apitoyée, la prostituée chasse ses comparses et s'abandonne dans les bras du mandarin qui, son désir assouvi, succombe à ses plaies. Dans la suite pour orchestre, l'histoire prend fin avant la mort du mandarin.
Le compositeur en tire l’argument d’un nouvel ouvrage scénique qu’il commence en mars 1918, au lendemain de la création, coup sur coup, de ses deux précédents : le ballet Le Prince de bois (création en 1917) et l’opéra Le Château de Barbe-Bleue (terminé en 1911, créé en 1918).
Cette fois, Bartók opte pour le genre de la pantomime. Il poursuit en cela son travail d’exploration de l’écriture pour la scène, dans la quête de formes et de langages musicaux qui ne soient pas un simple décalque de la modernité occidentale. Lengyel était une figure importante de l’avant-garde théâtrale hongroise, qui s’était formé avec Max Reinhardt à Berlin.
Les forêts de Transylvanie
On retrouve dans Le Mandarin merveilleux les thèmes qui hantent Bartók depuis la fin des années 1900 – prise en compte du Moi comme la seule réalité existante, solitude de l’homme moderne, angoisse, exaspération du désir, amour impossible.
Mais là où Le Château de Barbe-Bleue et Le Prince de bois étaient ancrés dans un symbolisme à la Maeterlinck, art de suggestion, climat de mystère, Le Mandarin merveilleux est d’une grande violence expressionniste.
Loin des châteaux et forêts de Transylvanie, l’univers du Mandarin évoque Brecht et Berg : violence urbaine, argent, prostitution, guet-apens, érotisme et meurtre sanglant.
D’une extrême complexité harmonique et rythmique, tour à tour haletante, frénétique, vociférée, la partition de la pantomime est l’une des plus expressives de Bartók.
Ramassée, elle s’ouvre sur le monde urbain et son vacarme. Le motif de la fille est exposé à la clarinette, tandis que les glissandos des cuivres suggéreront l’arrivée du Mandarin dont le thème orientalisant est tiré d’une gamme pentatonique chinoise.
La poursuite du Chinois par les trois vauriens est le point culminant de la partition, suivie par les déchaînements qui accompagnent la tentative d’étouffement et les coups. Après la furie, c’est l’apaisement de l’étreinte et de l’agonie et un pianissimo ultime sur des contrebasses et violoncelles à l’unisson.
Dans la version de concert qu’il en tira en 1927, Bartók opta pour une fin paroxystique et s’arrêta à la fin de la « poursuite ».
Expressionniste et impressionniste avec une touche de surnaturel, Le Mandarin merveilleux est écrit pour un grand orchestre symphonique, Bartók exploitant toute la richesse des matériaux sonores particulièrement dans des scansions rythmiques, virulentes, frénétiques, voire obsessionnelles rappelant, cinq ans après, l'univers du Sacre du Printemps de Stravinsky.