Le Cabinet de curiosités naturelles d’Albertus Seba

Le tsar de Russie Pierre le Grand avait acquis 14 ans plus tôt sa première collection quand Albertus Seba (1665-1736), zoologiste et apothicaire hollandais, passa contrat avec deux éditeurs pour la publication de 446 planches originales commentées des pièces de sa seconde collection encore plus vaste et fabuleuse que la première. 

Il sait que sa collection d’objets naturels – coquillages, plantes, animaux terrestres et marins, reptiles, insectes, papillons… composant son cabinet de curiosités naturelles – est sans équivalent dans le monde connu et souhaite coucher sur le papier les merveilles qui sont en sa possession en les faisant dessiner par pas moins de treize artistes.

Pionnier des sciences empiriques, Seba collectionnait myriade d’animaux et de plantes pour en tirer des substances thérapeutiques depuis qu’à l’âge de 32 ans, son diplôme d’apothicaire en poche, il ouvrit à Amsterdam son officine à l’enseigne de « La pharmacie allemande ».

Habile en affaires et amassant rapidement une fortune conséquente, il se mit en contact avec de lointains correspondants – au Sri-Lanka, au Groenland, en Virginie, ou encore à Batavia – pour nourrir sa collection et avec d’illustres chercheurs, tel l’influent président de la Royal Society de Londres Sir Hans Sloane,pour discuter des phénomènes naturels observés. Il s’appuie par ailleurs sur un vaste réseau de marins qu’il soigne et conseille en échange des souvenirs rapportés de leurs voyages.

Au début des années 1730 (précisément le 31 octobre 1731), ambition folle pour son temps, Seba décide de faire de sa collection un musée de papier. Entre 500 et 700 ouvrages originaux sont fabriqués, dont la grande majorité en noir et blanc, seuls quelques dizaines d’exemplaires seulement étant colorisés.Lorsque son Thésaurus est définitivement achevé et publié au complet en quatre forts volumes, Seba est mort depuis près de 30 ans et pour en financer l’édition définitive ses héritiers ont dû vendre et disperser sa prestigieuse collection.

A l’instar des autres collectionneurs du 17e siècle finissant et du 18e siècle naissant, Seba espérait parvenir, par la description méthodique, la comparaison et l’ordonnancement de ses pièces, à une compréhension scientifique de la nature.

Cette ambition, tout à fait perceptible dans le Thésaurus, lui confère une grande part de son intérêt épistémologique. Mais l’ouvrage est aussi un extraordinaire catalogue d’espèces inconnues, si riche que le grand Linné, lui même, s’en servit à plusieurs reprises pour affiner et compléter les diverses versions de son Systema Naturae.

Si seule une poignée  de spécimens sur les centaines de sa collection ont été préservés et dorment aujourd’hui dans quelques musées d’histoire naturelle à Londres, Saint-Pétersbourg, Amsterdam et Stockholm, le Thésaurus d’Albertus Seba est parvenu en revanche à franchir, au complet, les siècles et peut être acquis de nos jours dans une magnifique édition illustrée éditée par les éditions Taschen.

Pierre P. Suter