Danielle Juban : « L’union et l’innovation comme remèdes »

La crise sanitaire a comme corollaire une crise économique sans pareil depuis 1929. Encore en zone rouge, ce qui signifie que des professionnels, tels les cafetiers-restaurateurs, n’ont pas encore de ligne d’horizon, le territoire métropolitain est aussi frappé de plein fouet. Depuis le 17 mars dernier, la Ville et la métropole sont aux côtés des acteurs économiques afin de les épauler dans cette période des plus complexes. Le 14 mai, le bureau de Dijon métropole a d’ores et déjà pris des mesures, avec, notamment, la création d’un fonds de solidarité métropolitain qui complètera les aides de l’Etat et de la Région pour les entreprises les plus en difficultés. Tout en plébiscitant « l’union et l’innovation » afin de s’imposer parmi les territoires d’avenir dans le « monde d’après » la vice-présidente déléguée au développement économique, à lattractivité et à la promotion du territoire, Danielle Juban, nous en dit plus… Et, notamment, sur les aides pour « le monde du présent ». Ayant rayonné, rappelons-le, professionnellement au sein des groupes pharmaceutiques – elle fut notamment la directrice de communication « monde » des laboratoires Fournier –, son interview, en pleine guerre sanitaire contre le Covid-19 et en pleine crise économique, s’imposait de lui-même.

Dijon l’Hebdo : En tant qu’adjointe à l’attractivité, au commerce et à l’artisanat de la Ville de Dijon, avant toute chose, quel a été votre premier sentiment le 11 mai dernier, une date qui s’est apparentée comme un véritable Graal pour nombre de commerçants dijonnais ? J’imagine que voir Dijon reprendre vie progressivement après 55 jours de confinement a été un véritable soulagement…

Danielle Juban : « Comme tout le monde, je suis heureuse du déconfinement mais mes premières pensées vont à nos concitoyens qui ont été confrontés directement à la maladie. J’ai également une pensée particulière pour les soignants. Ils ont su faire preuve, depuis le début de la crise sanitaire, d’un courage et d’une abnégation à toute épreuve. Je pense aussi à tous ceux qui ont été en première ligne et le sont encore. A l’image des services de la Ville et de la métropole. Je voudrais ainsi féliciter, entre autres, l’équipe du Commerce et du Développement économique avec qui j’ai travaillé au quotidien pour, notamment, soutenir l’ensemble des professionnels qui doivent affronter la crise économique, corollaire de la crise sanitaire. Après avoir respecté le confinement, œuvrant au téléphone ainsi que par le biais de visioconférences – même si parfois j’ai dû sortir afin de remplir mon mandat –, je suis heureuse de retrouver de visu mes collègues et les services. C’est lorsque l’on en est privé que le lien social affiche toute sa pertinence ! Il faut certes rester prudent et appliquer les mesures sanitaires… mais le 11 mai 2020, avec le retour à la liberté, restera comme une date à marquer d’une pierre blanche. En revanche, je ne serai satisfaite que lorsque tous les commerces – et je pense notamment aux restaurants, aux cafés et aux bars à qui le gouvernement n’a pas encore donné de ligne d’horizon, zone rouge oblige – pourront eux aussi rouvrir ! »

DLH : Revenons sur le confinement qui restera longtemps gravé dans la mémoire des Dijonnais, comme de tous les Français. Vous avez chaque semaine au titre de la métropole piloté une cellule de crise regroupant l’ensemble des organisations professionnelles. Quelles ont été les demandes majeures qui se sont faites jour durant cette période où, pour presque tous les commerçants, à l’exception des commerces de bouche et de première nécessité, leur chiffre d’affaires s’est élevé à 0 ?

D. J. : « Comme l’a expliqué le président et maire de Dijon métropole, François Rebsamen, nous avons poursuivi notre travail pour la cause publique et au service de l’intérêt général. En parallèle au soutien que nous avons pu apporter aux soignants, qui, eux, étaient en première ligne, une autre grande cause s’est rapidement faite jour, puisque la France allait, dès le début du confinement, entrer dans la plus grande récession de son histoire depuis la crise de 1929. Cette grande cause n’était autre que le soutien à l’ensemble du tissu économique local. Pour ce faire, et afin de pouvoir épauler au mieux l’ensemble des professionnels, nous avons travaillé de façon très constructive avec les chambres consulaires, la CCI, la CMA, le MEDEF, la CPME mais aussi Shop In Dijon… Et là, nous avons dû apporter des réponses aux mêmes problématiques que celles qui sont apparues au niveau national. Ainsi, si les grands groupes fonciers ont décidé d’exonérer de loyers leurs locataires pour la période de confinement, cela n’a réglé en rien la question des petits propriétaires qui, pour des raisons économiques, ont eu besoin de récupérer leur loyer, et n’ont accepté de mettre en œuvre ni exonération ni report. Même si la situation semble s’améliorer, le positionnement des banques continue à susciter de nombreuses critiques. Celles-ci ont tendance à n’accorder des prêts qu’aux entreprises en très bonne santé alors que ce sont aussi et surtout les autres qui auraient besoin d’être aidées. Les banques ne sont pas toujours facilitatrices. Certaines n’acceptent pas un découvert et font payer des agios alors même que l’entreprise a l’accord de l’État pour le chômage partiel mais que celui-ci ne l’a pas encore versé. J’ai également pu noter une disparité importante dans les critères utilisés par les banques au moment même où l’ensemble du monde économique demande avec force une harmonisation des pratiques bancaires. Il est souhaité, à titre d’exemple, un document unique sur les PGE (Prêt garanti par l’Etat) quel que soit l’organisme bancaire. De nombreuses entreprises se sont aussi tournées vers leurs assureurs pour faire jouer la clause de perte d’exploitation. Elles ont obtenu une fin de non-recevoir… »

DLH : Le comportement des assurances depuis le samedi 14 mars correspondant à la fermeture des cafés et restaurants a également laissé un goût amer à nombre de professionnels…

D. J : « Et pour cause ! Dans les charges d’exploitation, les salaires sont couverts par le chômage partiel, les assureurs pourraient prendre à leur compte les autres charges fixes, sachant que les remboursements demprunt sont décalés par les banques. A ce jour, les branches assurance du Crédit Mutuel, du CIC, du Crédit Agricole… ont tout de même annoncé vouloir répondre positivement à leurs clients professionnels assurés contre les pertes d’exploitation. Il s’agit d’aides forfaitaires. Cependant, pour le moment, les « gros » assureurs, à l’instar d’AXA, de Generali ou encore d’ Allianz… ne bougent pas. Les entreprises sont en attente d’un arbitrage de l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et des résolutions) mais j’espère, pour ma part, que les choses évoluent rapidement ».

D.J. Quels autres problèmes ont été mis en exergue par la cellule de crise ?

D. J : « Des problèmes juridiques sont également légion. Un exemple concernant le secteur du BTP, où une nouvelle difficulté semble apparaître : sur un chantier où plusieurs entreprises interviennent, il existe un flou juridique sur la responsabilité de chacune face aux mesures liées au Covid. Cette situation risque de freiner une reprise massive de ce secteur d’activité à ce moment du déconfinement. La difficulté d’approvisionnement dans certains secteurs en tension, à l’image de l’industrie, ralentira le redémarrage de l’activité de certaines entreprises… Même si, depuis la loi NOTRe, la compétence économique a été confiée au conseil régional, la Ville et la métropole ont été sur tous les fronts pour aider les acteurs économiques à bénéficier des aides gouvernementales durant le confinement et à favoriser la reprise économique depuis le déconfinement ».

DLH : Comment concrètement depuis le 17 mars la Ville et la métropole de Dijon ont pu épauler au mieux les professionnels ?

D. J : « Nous avons pris plusieurs décisions. Dès le début du confinement, la Ville et la métropole ont décidé de payer toutes les factures qui étaient en instance. Nous avons tenté durant toute cette période, comme je vous le disais, de cerner au mieux les attentes des professionnels, de travailler avec eux…. afin de favoriser leur relance. Des premières mesures ont été prises lors du bureau de Dijon Métropole du 14 mai à l’image de l’exonération des loyers à vocation économique que perçoit Dijon Métropole. Nous avons également décidé la création d’un fonds de solidarité métropolitain qui complètera les aides de l’Etat pour venir en soutien aux entreprises les plus en difficultés. Nous allons travailler à la fois les types d’aides ainsi que les critères d’éligibilité à ce dispositif avec toujours l’ensemble des chambres consulaires, le MEDEF, la CPME… Il a été demandé à la région Bourgogne Franche-Comté de participer financièrement à ce fonds en substitution du fonds de solidarité territorial qui n’a pu être mis en place. Sachez également que d’autres aides ou formes de soutien sont à l’étude et seront présentées lors du prochain conseil municipal et du prochain conseil métropolitain. Dans les semaines et les mois qui viennent, il sera indispensable d’évaluer et d’adapter nos mesures à la situation sanitaire et économique qui va, elle-même, évoluer ».

DLH : Pensez-vous que le plan d’urgence mis en place par le gouvernement a été à la hauteur des enjeux ?

D. J : « Il me semble qu’avec la création du fonds de solidarité nationale, du PGE ou encore le financement du chômage partiel – pour ne citer que ces dispositifs –, cela a permis de faire face à la crise immédiate. Le gouvernement est maintenant attendu sur ses propositions en matière de plan de relance. Il a d’ailleurs commencé à le faire sur le tourisme, un secteur lui aussi des plus impactés, qui va souffrir de l’absence de la clientèle étrangère durant une période qui n’est pas encore définie »

D. J : « Parmi les réponses fortes apportées par le gouvernement, le prêt garanti par l’Etat (PGE)… Beaucoup de commerçants s’inquiètent d’ores et déjà des remboursements de ce prêt, qu’ils qualifient de « dette de demain… » Le gouvernement devrait-il réfléchir, comme le conseil régional de l’Ordre des experts comptables de Bourgogne Franche-Comté le préconisait dans notre dernier numéro, à la façon par la suite d’honorer ces prêts ? 

D. J. : « Cela fait partie des sujets qui devront être traités dans le plan de relance de l’Etat afin que celui-ci soit efficace. Comme je l’ai dit, il est indispensable d’évaluer les dispositifs mis en place, et d’être particulièrement réactif à l’évolution de la situation… »

DLH : Shop In Dijon a notamment lancé durant le confinement son premier site d’e-commerce local, un outil performant auquel une vingtaine de commerces se sont d’ores et déjà inscrits : pensez-vous que cela puisse représenter aussi l’avenir pour ce que d’aucuns appellent désormais « le monde d’après » ?

D. J : « Il est bien difficile de savoir exactement comment sera le monde après le Covid. Même s’il sera à n’en pas douter différent. Le e-commerce local a très certainement de l’avenir comme d’ailleurs l’alimentation en circuit court. Durant le confinement, elle a été plébiscitée par la population et cela devrait perdurer. C’est une chance à la fois pour le consommateur et pour les producteurs locaux, ceux-là mêmes qui ont permis, il faut le rappeler, de franchir le cap du confinement. Le projet TIGA (Territoire d’innovation de grande ambition) que porte Dijon métropole, qui fait, je le rappelle aussi, partie des 24 projets retenus par l’Etat, afin de creuser le sillon d’un « Système alimentaire durable à l’horizon 2030 », apportera pleinement sa pierre à cette évolution. Un projet pour lequel l’ensemble des forces en présence – et nous en avons dans le domaine de l’agro-alimentaire qui est l’un des secteurs phares du territoire – se sont associées : Dijon métropole l’a, en effet, développé en partenariat avec lensemble des acteurs ayant porté ce projet notamment l’INRA (Institut national de la recherche agronomique), le réseau FoodTech, le pôle de compétitivité Vitagora, Seb ou encore Orange pour la dimension numérique. Comme dans le domaine de la Santé, où le nouveau technopôle métropolitain, regroupant l’ensemble des acteurs concernés, permettra d’être encore plus performant, un domaine qui, avec la crise du Covid-19 a montré toute son importance, je pense, pour ma part, que le mot clef pour favoriser la réprise est : ensemble ! Ce n’est pas un vœu pieu mais une constatation : depuis le 17 mars, la solidarité a battu son plein comme on a pu le voir dans la capitale régionale, où la plateforme numérique jeparticipe.dijon.fr créée par la Ville pour mettre en relation ceux qui souhaitaient aider et les personnes fragilisées a été particulièrement fréquentée. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres et j’imagine à quel point les applaudissements chaque soir à 20 heures pour encourager nos soignants a dû aussi leur faire chaud au cœur. En conservant cette solidarité et j’espère qu’elle sera une constante du monde d’après –, c’est dorénavant l’union qui fera notre force afin de relever la tête, économiquement s’entend ! Le rôle essentiel joué par le poste de pilotage d’On Dijon, et, de facto, de la Smart City, pour lequel Dijon a aussi un temps d’avance, comme l’a montré notre classement parmi les meilleures villes du monde dans le domaine au Salon de Barcelone, a également montré l’importance de l’innovation. En réussissant à conjuguer union et innovation, nous créerons toutes les conditions pour sortir de cette crise. C’est la raison pour laquelle, sur le sujet de l’alimentation par exemple, avec mon collègue Benoit Bordat, nous travaillons à la création d’une plate-forme virtuelle métropolitaine permettant de rassembler l’ensemble des offres en circuit court pour les professionnels et, à terme, de pouvoir proposer un marché de gros virtuel pour les producteurs locaux »

DLH : Avant cette crise économique d’une ampleur sans précédent, les commerces dijonnais ont déjà subi les affres des manifestations liées à la réforme des retraites et les gilets jaunes. Le président du Medef 21, David Butet, estime que l’ « on va aller de dépôts de bilan en dépôts de bilan ». Ne craignez-vous pas, comme lui, que beaucoup soient contraints de mettre la clef sous la porte ?

D. J : « Il y aura malheureusement des dépôts de bilan. C’est pour cela que les aides métropolitaines ou de la Ville doivent, en complément des aides de l’Etat et de la Région, venir en soutien du plus grand nombre. Mais au-delà de ces dispositifs la métropole travaille à un plan de relance pour dynamiser le tissu économique local en s’appuyant sur des projets existants tels TIGA que j’ai cité plus en amont ou Readaptic mais aussi sur le développement de ses filières d’excellence. Enfin, pourrais-je dire, l’Etat a pris conscience durant cette crise sanitaire de l’intérêt majeur de réindustrialiser le pays. Avec les acteurs locaux, regroupés dans le nouveau technopôle Santé, dont l’association BFCare qui fédère l’ensemble des industries basées en région Bourgogne-Franche-Comté, Dijon Métropole va travailler dans ce sens. Il est important de rappeler que la Santé représente, par exemple, 3000 emplois et une cinquantaine d’entreprises sur notre territoire métropolitain. Je voudrais, à cette occasion, souligner le travail qui a été fait dans cette période avec les équipes du Professeur Callier, directeur du laboratoire génétique chromosomique et moléculaire au CHU Dijon-Bourgogne : nous avons participé à un marathon de l’innovation Datacare Covid 19. Cet événement 100% online, confinement oblige, a regroupé sur 2 jours, 44 professionnels, enseignants-chercheurs en santé ainsi que des spécialistes du traitement des données pour travailler de façon collaborative et bénévole sur de la programmation informatique. Les équipes ont été chargées de développer un concept ou un prototype innovant et pertinent à base de technologies numériques et d’intelligence artificielle afin de répondre à une sélection de problématiques spécifiques pour lutter contre la pandémie du Covid-19. Et cette initiative a regroupé la métropole, le CHU mais aussi le Centre Georges-François-Leclerc, l’Université de Bourgogne et l’école d’ingénieurs CESI ».

DLH : Ces craintes de fermeture concernent au premier chef les restaurants et les cafés qui n’ont toujours pas de ligne d’horizon, restant fermés jusqu’à nouvel ordre. Quel message pouvez-vous adresser aux professionnels de ce secteur qui n’ont de cesse, à chaque intervention du Premier ministre, de ronger leur frein ?

D. J : « Les services de la ville travaillent actuellement à un projet d’agrandissement des zones de terrasses dans le centre-ville. Cela permettra, quand les cafés et restaurants pourront rouvrir, de respecter les règles sanitaires et de perdre le moins de tables possibles ».

DLH : La Ville de Dijon a déjà annoncé que les droits de terrasse, les droits d’enseigne, les droits d’étalage et de store donneront lieu à exonération pendant la période de crise. Allez-vous étendre cette exonération au-delà de cette période ?

D. J : « Cela sera présenté au conseil municipal, mais cela dépend aussi de l’évolution de la situation économique. Il faudra prendre les bonnes décisions au bon moment en évaluant la situation ».

DLH : D’aucuns savent à quel point le tourisme représente l’un des leviers de l’attractivité de la capitale de Bourgogne Franche-Comté dotée d’un patrimoine exceptionnel. Quelles mesures allez-vous également prendre dans ce domaine ?

D. J : « J’ai participé à un groupe de travail piloté par Sladana Zivkovic, présidente de l’office de tourisme métropolitain, rassemblant les professionnels de ce secteur (UMIH Côte-d’Or, Club Hôtelier, Shop In Dijon…). Nous travaillons, là aussi, à un plan de relance concerté s’appuyant sur de nouvelles offres commerciales, mais aussi des actions de promotion du territoire… Sur ce sujet également, des décisions seront prises prochainement ».

DLH : Vous siégez aussi au sein de la commission municipale œuvrant pour l’écologie urbaine. Comment avez-vous perçu la récente annonce de la sélection de la ville de Dijon, aux côtés de Turin, Grenoble et Tallin, parmi les 4 finalistes du concours « Capitale Verte Européenne 2022 » ? 

D. J « C’est une grande fierté ! Cela récompense le travail de François Rebsamen et de ses équipes en matière d’écologie urbaine mais aussi la volonté de faire de Dijon et de sa métropole une ville exemplaire en la matière. Il ne peut pas y avoir de développement territorial réussi s’il ne prend pas en compte en permanence cette dimension. Les projets, à l’instar par exemple de l’unité de production et de distribution d’hydrogène, vont permettre à la métropole d’aller encore plus loin ! »

Propos recueillis par Camille Gablo