« À l’heure du soupçon, il y a deux attitudes possibles. Celle de la désillusion et du renoncement, d’une part, nourrie par le constat que le temps de la réflexion et celui de la décision n’ont plus rien en commun ; celle d’un regain d’attention, d’autre part, dont témoignent le retour des cahiers de doléances et la réactivation d’un débat d’ampleur nationale. Notre liberté de penser, comme au vrai toutes nos libertés, ne peut s’exercer en dehors de notre volonté de comprendre ».
Tel est le manifeste qui annonçait il y a plus d’un an , par la volonté de l’éditeur Antoine Gallimard et sous l’autorité de Régis Debray,la renaissance de la formule des grands « tracts de la NRF » qui parurent dans les années 30 du 20e siècle sous la plume de Gide, de Thomas Mann, de Jules Romains, de Giono, etc …
Depuis le 17 mars 2020 « Tracts » s’est réinventé. Durant la période de confinement et de lutte contre la pandémie de coronavirus , Gallimard offre l’accès quotidien à des textes brefs et inédits disponibles en téléchargement sur le site de la collection. Il est aussi possible de s’abonner afin de recevoir chaque jour gratuitement par mail les nouveaux « Tracts de crise ».
On ne peut que saluer cette initiative aussi bienvenue que salutaire.
A l’heure ou j’écris ces lignes, pas moins de 45 textes ont été publiés.
Petite sélection ,toute personnelle, de textes diffusés au début du mois d’avril :
Tracts de crise N° 35. Jean-Paul Demoule: « Pré-histoires du confinement « – « La moitié de l’humanité est désormais confinée . Ce serait un événement considérable , du jamais vu dans l’histoire . En réalité , l’histoire de l’humanité pourrait-être , malgré les apparences de la mondialisation, celle de son confinement progressif , depuis le nomadisme des débuts paléolithiques jusqu’aux concentrations urbaines actuelles ».
Tracts de crise N° 37. Tsolag Paloyan : « Derrière la tête » – » Cette chance laissée à l’individu de se hisser à la hauteur du citoyen éclairé et responsable , c’est précisément le pari ( pascalien ? ) qu’implique nécessairement une démocratie pas tout-à-fait désenchantée ».
Tracts de crise N° 40. Gilles Paché : « Logistique de crise » – « C’est peu dire que les sciences du management n’ont pas bonne presse en ces temps difficiles de crise sanitaire . Après tout, n’ont-elles pas eu de cesse de célébrer la mondialisation et la financiarisation dont on paie aujourd’hui le prix fort ? ».
Tracts de crise N° 41. Chloé Morin : « A quel moment ? » – « Je ne sais pas vous , mais à force de lire , d’écouter , de regarder reportages et témoignages se succéder , un étrange malaise s’est imposé. Comme un sentiment que quelque chose ne colle pas . Qu’on a oublié un truc ».
Tracts de crise N° 44. Régis Debray : « Le dire et le faire » – « La communication, dont vit la classe politique qui s’imagine pouvoir survivre par elle à son discrédit, a tué le politique et ruiné sa crédibilité. Cet art meurtrier est aussi celui de ne pas répondre aux questions, mais très abondamment. Parmi ces « éléments de langage » il en est un qui frappe par son omniprésence : le viral faire en sorte que « du politicien ».
Gallimard, la collection « Tracts de crise » et la Succession Albert-Camus ont eu, en outre, l’excellente idée de proposer la découverte d’un texte méconnu d’Albert Camus mais d’une brûlante actualité, un texte écrit en 1941 qui constitue l’un des travaux préliminaires à « La Peste » : « Exhortation aux médecins de la peste » (Tracts de crise N°33).
Pierre P. Suter