Pierre Pribetich : « Avoir laissé l’Italie et l’Espagne se débrouiller seules, c’est une honte »

Adjoint au maire de Dijon chargé de l’urbanisme, premier vice-président de Dijon Métropole, Pierre Pribetich a été député européen de juin 2007 à juin 2009.

 

Dijon l’Hebdo : Désespoir et colère en Italie. Sur les réseaux sociaux, les vidéos montrant les Transalpins brûler le drapeau de l’UE ont été nombreuses… Les Italiens attendaient une intervention humanitaire d’urgence et le déblocage d’une aide financière exceptionnelle. L’aide est venue bien tard et au compte-gouttes. Lors des premières semaines de crise, la Chine et Cuba, par leur envoi de matériels et de personnels, ont davantage aidé que l’Union européenne. Comment expliquez-vous ce retard à l’allumage ?

Pierre Pribetich : « C’est un retard qui est essentiellement dû au fonctionnement même de l’Union européenne, d’une part, et ensuite au retard personnel d’Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne qui n’a pas forcément saisi toute l’importance et le caractère d’urgence de la situation. La preuve, c’est qu’elle a présenté ses excuses à l’Italie. Ce qui prouve, encore une fois, que les égoïsmes nationaux ont pris le pas sur les besoins de solidarité. En fait, on revit la crise des migrants. Les mêmes pays impactés se sont retrouvés isolés, sans solidarité européenne. Le fait d’avoir laissé l’Italie et l’Espagne se débrouiller seules, c’est une honte.

Il est clair que ce retard à l’allumage est lié à l’absence de structuration et de réflexion collective pour utiliser la force de l’Europe face à ce type d’agression. Et des agressions, on en subira d’autres. On n’est pas à l’abri d’autres virus ou de crises diverses. Je pense, par exemple, aux migrations liées au réchauffement climatique. Regardez aussi ce qui s’est passé en Ukraine, à Tchernobyl, avec des feux non maîtrisés près de la centrale où s’est produit l’accident nucléaire ».

DLH : Jusqu’alors le Brexit était le symbole d’une Europe en crise. Il y a désormais le Covid-19 qui crée des tensions entre les pays membres, malmène les solidarités européennes et écorne l’image de l’Union en transcendant les égoïsmes nationaux… Comment l’Europe peut-elle se sortir de ce piège qui la menace jusque dans ses fondations ?

P. P : « Pour moi, le Brexit a marqué une rupture. Il y a l’avant et l’après Brexit. Avant, cela semblait quasiment impossible de déconstruire l’Europe. Il y avait une sorte d’inhibition qui s’emparait des dirigeants politiques. Reprenez les interviews, en son temps, de Margaret Thatcher qui haussaient les épaules à l’évocation d’une sortie éventuelle de l’Europe. Malheureusement, le jusqu’au boutisme des Anglais et de leurs responsables politiques, leur volonté de sortir de l’Union européenne pour assumer leur propre développement, a ouvert la boîte de Pandore d’une déconstruction. Je ne serais pas surpris par d’autres demandes à terme d’une sortie de l’Europe. Cette situation est plus que préoccupante et s’il n’y a pas un réflexe de survie avec une autre organisation, non pas institutionnelle mais pragmatique, je pense que la déconstruction est en marche. Je ne l’espère évidemment pas mais la lucidité me conduit à cette réflexion ».

DLH : Les ministres des Finances de la zone euro ont convenu le 9 avril d’un plan de soutien de 500 milliards d’euros pour faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire du coronavirus Covid-19, après des semaines de querelles qui ont souligné les douloureuses divisions au sein du bloc communautaire. Pourquoi le consensus a-t-il été aussi difficile à trouver ?

P. P : Ils se sont mis d’accord le 9 avril sur une réponse économique commune face au coronavirus. Avec là encore une situation de retard à l’allumage. Quand on voit les sommes mises en place par exemple par l’Allemagne, ce sont 1 100 milliards d’euros et une enveloppe illimité de crédits garantis par l’État. Aussi 500 milliards européens pour tenter d’endiguer cette crise, ça semble dérisoire… C’est une réponse qui n’est pas dynamique et qui n’est pas à la hauteur de l’Union européenne.

On sent bien que les ministres des Finances ont une épée dans les reins. On a imposé une rigueur budgétaire depuis un certain nombre d’années sur l’hôpital et on s’aperçoit maintenant que l’absence de financements crée des capacités limitées notamment pour les lits en réanimation. Cette orthodoxie budgétaire a déstabilisé la santé des structures.

On est aussi dans une situation catastrophique d’un point de vue financier. Si on n’a pas les « corona bonds » qui sont des instruments permettant de rassembler des fonds au nom de toute la zone euro et de maîtriser les taux d’intérêt, il faut s’attendre à une bombe à retardement et ce sera pire que le coronavirus appliqué à l’économie ».

DLH : Ne croyez-vous pas que la fracture Nord-Sud apparue lors de la crise de la dette grecque se creuse encore un peu plus ?

P. P : « Elle va se creuser un peu plus dans la mesure où il y a une volonté de repli sur soi. Les sondages le montrent. Je ne suis pas sûr que l’Europe soit très populaire en ce moment et en plus elle n’a pas fait preuve de réactivité. La réunion qui est prévue le 4 mai visant à évoquer l’élaboration d’un vaccin donnera peut-être une image à même de renforcer l’efficience de l’Europe. Mais j’en doute un peu ».

DLH : Pensez-vous que la création d’un instrument de dette commun serait, comme le réclame l’Italie, une bonne solution ?

P. P : « C’est une bonne solution d’autant que l’Italie est dans une situation bancaire catastrophique. C’est un véritable instrument de solidarité ».

DLH : Comment pourront-être amortis les coûts colossaux engendrés par la crise sanitaire ? Ne va-t-on pas vers une austérité massive ?

P. P : « Le problème est simple : que fait-on pour éviter une explosion des taux d’intérêt qui condamnerait tous les pays ? Faut-il créer des obligations de type « corona bonds » alors que tout le monde était opposé aux « euros bonds » au moment de la dette grecque ? L’Allemagne semble moins réticente. Il faut à tout prix un mécanisme de solidarité sinon on ne s’en sortira pas. Même en France, je ne sais pas comment on va faire avec le budget et l’explosion de la dette. Le « quoi qu’il en coûte » du président de la République aura à un moment donné des effets délétères sur la structuration et les finances publiques. On aurait mieux fait d’investir dans l’hôpital plutôt que d’avoir une facture multipliée par deux ou trois à la sortie. Finalement, on va payer quelque chose qu’on n’a pas voulu mettre en place avec des capacités suffisantes. Idem pour les masques, les tests… »

DLH : N’est-il pas nécessaire d’intégrer désormais la santé parmi les compétences de la Commission européenne ?

P. P : « D’autres virus apparaîtront. C’est inéluctable. Il faut qu’on se dote d’outils liés à de nouvelles compétences. Et se poser les bonnes questions : quelle construction voulons-nous et quelles compétences laissons nous à l’Europe ? Une compétence santé ? Oui. Un virus ne va pas s’arrêter aux frontières. La compétence santé, comme la compétence sécurité, est un élément déterminant d’une solidarité européenne assurée à 27 ».

DLH : Comment et jusqu’où l’Europe peut-elle se réinventer pour surmonter cette crise sans précédent ?

P. P : « Au sortir de la crise, les peuples ne seront pas en situation de réfléchir à une nouvelle constitution européenne. Les gouvernements doivent se poser la question d’une efficience de la gouvernance à 27. Il faut penser à des gouvernances par cercles, peut être avec des cercles par compétence. La situation de la Hongrie qui glisse vers une dictature est symptomatique d’une situation où dans l’Europe on constate des adhésions différentes. On peut réinventer mais il faudra être très pragmatique ».

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre