« Une souris verte qui courait dans l’herbe (…) »
Les petits rongeurs semblent de toute éternité avoir partie liée avec l’univers et l’imaginaire enfantins. Les cochons d’Inde et les hamsters, enfouis dans la paille de leurs cages ou faisant sans trêve tourner leurs roues d’exercice, fascinent immanquablement les bambins. Quand les dents de lait tombent, une souris de rêve vient apporter quelques piécettes sous les oreillers de la nursery. Et dans les comptines d’une cruauté tranquille, les souris vertes mangent sans complexe la « petite carotte » des petits garçons. Selon un registre plus adulte, on sait qu’une « souris » désigne une femme jolie, désirable et peut-être aimablement perverse : mais là, elle ne saurait bien sûr se satisfaire d’une insignifiante « petite carotte ». Pour accomplir des prodiges bucco-pharyngés, comme dans le film « Deep Throat » (USA, 1972) de Gérard Damiano (que je conseille vivement aux Messieurs), il lui faudrait au moins une belle botte de carottes fourragères.
Mais laissons, pour aujourd’hui, cela et tenons-nous en à des petits rats plus respectables pour souligner à quel point ces craquants souriceaux et souricettes ont pu occuper le domaine des films et séries pour enfants : « Mickey Mouse » et ses innombrables apparitions dans d’innombrables dessins animés, « Super-Souris », « Speedy Gonzales », « Tom et Jerry », « Les Aristochats », « Basil, détective privé », « Bernard et Bianca », « Fievel », « Brisby et le secret de NIMH », « Stuart Little », « Souris City » et le très gastronome « Ratatouille », sans oublier (c’est un de mes dessins animés favoris) « Ernest et Célestine », petite merveille française de sensibilité et de couleurs subtiles…
On comprend que la plupart des enfants et quelques adultes intelligents (c’est-à-dire irrespectueux) s’identifient à ces minuscules héros qui humilient les chats, les chiens, l’ordre public et les grandes personnes, comme dans le film de Gore Verbinski « La Souris » dont le scénario s’inspire de celui de « Maman, j’ai raté l’avion », mais en infiniment plus burlesque, attachant et subversif. Précisons que ce film n’est pas un dessin animé, comme c’est le cas pour la plupart des épopées ratières, mais un film avec de vrais acteurs et sans doute une vraie souris, mise en mouvement, à partir de photographies d’un animal réel, par des miracles numériques que j’avoue être incapable de comprendre.
Il y a d’ailleurs force mouvements dans cette œuvre dont l’histoire est gentiment simplette. Deux frères, aussi bêtes que fauchés, héritent de leur père un lot hétéroclite de biens sans grande valeur : une collection de cuillères en piteux état, une usine de ficelle obsolète où travaillent encore quelques grognons syndiqués et une grande demeure abandonnée, humide et délabrée. Toutefois, il se trouve que ladite baraque a été dessinée par un architecte prestigieux des années 1900 et que des amateurs pourraient se la disputer à prix d’or. Aussi, nos deux zouaves décident-ils de la rénover pour la vendre aux enchères. Mais la petite souris qui habite derrière les plinthes ne l’entend pas du tout de cette oreille et va défendre ce qu’elle considère comme son domaine avec ruse, habileté et obstination.
Elle déjoue alors tous les pièges que lui tendent les deux benêts, elle leur en pose elle-même de beaucoup plus efficaces, elle crucifie le chat de race Frankenstein que se sont procuré ses ennemis, elle provoque inondations, éboulements, chutes de meubles, départs d’incendie et prend manifestement plaisir à rosser, ratatiner, narguer, brûler, écrabouiller, défénestrer, noyer dans de l’eau glacée, éclater, bref ridiculiser les nigauds qui prétendaient se débarrasser d’elle.
Alors oui, l’intrigue rappelle fortement celle de « Maman, j’ai raté l’avion », film que j’avais descendu naguère. Mais voilà, on notera trois grandes différences qui font de « Maman… » un navet et de « La Souris » une tornade comique : d’abord la souris joue beaucoup mieux que Macaulay Culkin, le petit merdeux spécialisé en ratages d’aéronefs ; ensuite, à travers l’humour déjanté de « La Souris », se lit une critique au vitriol de certains travers de la société américaine ; enfin, le dénouement du film de Gore Verbinski est à la fois inattendu, attendrissant (sans mièvrerie) et… gourmand ! Je vous laisse le découvrir.
Références : « La Souris » (« Mousehunt »), USA, 1998.
Réalisateur : Gore Verbinski, dont il convient de signaler qu’il a aussi mis en scène la trilogie des « Pirates des Caraïbes », où un Johnny Depp étonnant et détonant, précieux et brutal, cynique, sensible, insaisissable et rusé rappellerait presque une petite souris duelliste…
Edité en DVD chez DreamWorks Home Entertainment.