David Butet : « Les salariés vont devoir être aux côtés des chefs d’entreprise »

Quelques minutes après que le Premier ministre a dévoilé le second plan d’urgence de 110 milliards d’euros afin de lutter contre la crise économique, nous avons interrogé le président du Medef de Côte-d’Or. Et David Butet de faire le distinguo entre « les déclarations d’intention » et « la réalité opérationnelle sur le terrain ». Interview du patron des patrons « très… très inquiet » dont le message ne devrait pas passer inaperçu… notamment celui qu’il adresse au monde de la finance.

 

Dijon l’Hebdo : La crise sanitaire a comme corollaire la crise économique. Les chiffres sont tombés comme des couperets : de – 8% de croissance, un déficit de 9% et une dette de 115%. Vous étiez ainsi dans le vrai lorsque vous évoquiez un véritable « cataclysme… »

David Butet : « Je persiste et signe. Les chiffres annoncés par le Premier ministre sont venus confirmer ce que je redoutais. Je le constate sur le terrain. Et notamment avec l’ensemble des appels des adhérents et non-adhérents puisque nous avons ouvert au Medef 21 un standard téléphonique afin d’écouter et venir en aide à toutes les entreprises qui le souhaitent. Nous prenons le pouls de la détresse des entreprises et notamment d’une part très importante des PME-TPE mais aussi de quelques grandes entreprises qui étaient dans une situation complexe avant la crise. Un exemple : une société a fait de gros investissements il y a 5 ans et se retrouve aujourd’hui avec des fonds propres qui ne sont pas dans un état formidable. Alors qu’elle est profitable, rentable et se redéveloppe depuis 4 ans, elle se voit refuser son prêt garanti par l’Etat parce que les conditions ne sont pas réunies. Elle est au bord du dépôt de bilan avec plusieurs centaines de collaborateurs. Cette crise est d’une grande ampleur et, ce qui m’inquiète le plus, c’est que nous ne sommes qu’au début. Par effet domino, d’autres complications vont intervenir et nous allons aller de dépôts de bilan en dépôts de bilan ! »

DLH : La France doit faire face à la plus forte récession depuis 1945. Dans le même temps, le gouvernement n’a de cesse de réitérer, en substance, qu’aucune entreprise ne restera au bord du chemin. Est-ce réaliste selon vous ou ce discours s’apparente-t-il à une méthode Coué ?

D.B. : « On est totalement dans la déclaration d’intention. Je ne remets pas en cause au départ les politiques qui ont sans doute cette ambition mais, lorsque cela passe par les services de Bercy et tous les services annexes, on n’arrive pas à mettre opérationnellement en place, dans un temps suffisamment court, ce qu’ils souhaitent et ce que nous souhaitons tous en réalité. Plus on tarde, plus les dépôts de bilan vont s’enchaîner… En l’état actuel des choses, beaucoup d’entreprises passent à travers les trous de la raquette et ne sont concernées par aucune des aides ».

DLH : Lors de son allocution télévisée du 14 avril, le président de la République, Emmanuel Macron, en a notamment appelé aux banques et aux assurances qui « doivent être aussi au rendez-vous de cette mobilisation générale ». Partagez-vous ce souhait ?

D.B. : « Oui et j’ai envie qu’il y ait une responsabilité encore plus grande des banques. Je ne leur en veux naturellement pas de s’être s’adaptées dans des délais records à une situation que personne n’a jamais connue. Ce n’est pas simple d’organiser l’ensemble de ses collaborateurs en télétravail. Ajoutons à cela la protection des données… Il y a eu une période de latence. Mais ce qui m’interpelle c’est la responsabilisation des banques pour répondre à l’intention politique. Ce n’est absolument pas le cas puisque beaucoup d’entreprises ne réussissent même pas à se voir proposer un dépôt de dossier pour un prêt garanti par l’Etat. Après j’en veux beaucoup aux assurances qui ne font que très peu d’efforts. Certes elles ont fait, conjointement parlant, un abondement de 200 M€ pour accompagner une partie des fonds redistribués dans le cadre notamment des prêts rebonds mais c’est loin d’être suffisant. Pour les entreprises au chiffre d’affaires 0, il devrait y avoir une responsabilité des assurances qui devraient agir sur la perte d’exploitation de manière exceptionnelle ».

DLH : Le Premier ministre a détaillé le nouveau plan d’urgence avec le Fonds de solidarité passant de 1 à 7 milliards d’euros et l’ouverture d’une enveloppe de 20 milliards d’euros pour entrer au capital des entreprises en difficultés. Cela va-t-il dans le bon sens ?

D.B. : « Je ne dis pas le contraire. Ces mesures sont issues de discussions quotidiennes avec le gouvernement auxquelles participent les organisations patronales. Oui cela va dans le bon sens mais il va falloir voir, je le répète, comment vont être réalisées ces aides opérationnellement ».

DLH : Vous avez, notamment, tiré la sonnette d’alarme pour l’hôtellerie-restauration qui a dû cesser toute activité le samedi 14 mars à minuit. Selon vous, les dispositifs de soutien gouvernementaux n’empêcheront-ils pas les dépôts de bilan dans ce secteur ?

D.B. : « J’y associe aussi le monde du tourisme, de la culture, du spectacle, de l’événementiel qui sont à 0 de chez 0 ! Et ce sont les secteurs qui n’ont pas de trésorerie immense et qui sont dans une situation inconfortable depuis des mois. Se sont succédés les attentats, les gilets jaunes, les grèves liées la réforme des retraites. Là, c’est le coup de grâce ! Pour tous ceux-là, nous sommes dans une crise d’urgence ».

DLH : Strategic Event, votre société, a été baptisée par ses thuriféraires (et ils sont nombreux) la « boîte à solutions ». Quelles sont donc les solutions que vous préconisez pour franchir cette période compliquée ?

D.B. : « C’est très compliqué car Stratégic Event est elle aussi touchée au cœur. Il est très difficile d’envisager un avenir serein car, sur mon métier de l’événementiel, nous avons été les premiers frappés et nous serons les derniers à repartir. On subit un triple effet lié à cette crise : tous nos clients historiques qui nous devaient de l’argent ont arrêté de nous payer au moment où cela s’est passé; nous avons 0 euro de chiffre d’affaires ; et, dernier effet pervers, je passe mes journées à enregistrer des annulations d’événements programmés pour fin 2020 début 2021. Toutes les entreprises clientes éliminent la communication et l’événementiel… alors que la communication de crise est essentielle. Je crains aussi que dans le milieu de l’événementiel on assiste à énormément de dépôts de bilan… »

DLH : Etes-vous également favorable, comme votre président national Geoffroy Roux de Bézieux l’a déclaré dans Le Figaro, à « poser la question du temps de travail, des jours fériés et des congés payés pour accompagner la reprise économique » ?

D.B. : « Je pense qu’il est allé un peu vite en besogne. Nous nous sommes expliqués là-dessus. Il n’avait pas à le formuler comme cela même si c’est facile de critiquer a-posteriori. Il va falloir refaire une redistribution du travail en fonction des secteurs. On ne peut pas mettre tout le monde sur un même pied d’égalité. Un exemple : dès que le déconfinement sera là, le bâtiment pourra reprendre. Les gens vont travailler et il faudra peut-être qu’ils travaillent plus pendant un temps donné eu égard aux délais à respecter mais aussi pour sauver les entreprises et les emplois. Dans d’autres secteurs, comme l’industrie, la chimie, sachant qu’ils doivent adapter le travail avec les conditions d’hygiène et de sécurité, la situation n’est pas la même… Il faut comprendre que, d’une manière globale, les salariés vont devoir être aux côtés des chefs d’entreprise ».

DLH : Le président de la République a, le 14 avril dernier, déclaré : « Dans la crise actuelle, il y a tout de même une chance : la possibilité de se réinventer ». La solidarité entre chefs d’entreprise et salariés, qui se manifeste souvent depuis le début de la crise, pourrait y participer…

D.B. : « Cette solidarité existe de fait dans 90% des entreprises. C’est vrai dans les TPE-PME, car tout le monde se connaît. C’est plus compliqué dans des ETI (entreprises de taille intermédiaire) ou des grands groupes, où il n’y a plus de personnalisation ou d’humanisation. Nous devrons faire une reconstruction et, sans doute aussi, une redistribution des priorisations pour les chefs d’entreprise et les salariés. Cette crise nous met devant un fait clair : nous sommes tous fragiles, quelle que soit notre situation. A un moment donné, il faut peut-être revoir notre manière de consommer, de gérer, de réindustrialiser la France sur des éléments clés pour la survie de notre pays après avoir laissé s’échapper les industries vers d’autres pays… Je ne vais pas me faire que des amis en disant cela mais la finance détermine beaucoup de choses. La preuve : le président a choisi que le prêt garanti par l’Etat passe par les banques. Pourquoi n’a-t-il pas opté pour la Caisse des Dépôts ? Lorsque l’on voit les plans de relance à l’échelle internationale, que ce soit aux Etats-Unis, en Europe, il y a des milliards sortant des planches à billets. Je pense que 80% passent dans la finance et la spéculation… J’estime que c’est au système que l’on a tous collectivement, et pas que l’Etat, sauvé en 2008 de venir aujourd’hui au chevet de toutes les formes d’entreprises. Et nous ne parlons pas de certaines attitudes actuelles comme l’augmentation de taux par certaines banques, alors qu’elles empruntent toujours au même taux à l’Union européenne. Ce n’est pas logique… Il ne faut pas se leurrer : comme dans n’importe quelle crise, il y a ceux qui œuvrent pour le bien commun et ceux pour le bien particulier parce qu’ils en profitent. On trouve formidable tout ce qui se passe dans la grande distribution. Je ne peux pas le remettre en cause mais expliquez-moi pourquoi la grande distribution ne prend pas les stocks de la Fromagerie Delin par exemple – une des PME qui essayent de s’en sortir ? Ce n’est pas normal surtout que la grande distribution fait 135% d’activité en ce moment… Il n’est pas normal non plus qu’Edouard Philippe en arrive à dire qu’il faut mettre des primes aux personnels essentiels… Il n’est pas normal que notre système ait à ce point dérivé par rapport à ces personnes, comme le personnel de santé, les instituteurs, les caissières… tous ceux qui assurent la vie de la Nation comme on le voit en pleine crise. Pour reprendre un analogisme que j’ai lu quelque part, ceux qui sont sur le terrain aujourd’hui sont les Smicards. On n’est pas très loin de la réalité et ce n’est pas logique ! »

DLH : Entrevoyez-vous tout de même une lueur d’espoir ?

D.B. : « Je suis très très inquiet. J’ai peur qu’à l’instar de ce qu’il a mis en place pour créer une courbe afin d’étaler la propension du coronavirus le gouvernement crée la même typologie de courbe pour étaler les dépôts de bilan. Cela fait moins peur ! Si je veux tout de même donner un point positif, c’est qu’il n’y a rien de plus résilient qu’une entreprise et un entrepreneur qui arrivent à s’adapter à beaucoup de choses. J’ose espérer que beaucoup vont s’en sortir ! »

Propos recueillis par Camille Gablo