Ludovic Rochette : « Nous sommes tous dans le même bateau »

Les maires se trouvent aujourd’hui eux-aussi en première ligne pour lutter contre la propagation du Covid-19. L’expérience montre que tous les jours on a besoin d’eux. Ludovic Rochette, président de l’AMF21 (Association des maires de France) fait le point.

 

Dijon l’Hebdo : « Rien ne se fera sans vous ». On se souvient de cette phrase d’Emmanuel Macron, l’automne dernier, mettant les maires au centre de l’acte 2 de son quinquennat pour l’ouverture du congrès des maires de France… « Je n’ai d’autre obsession que d’agir, de réformer et de faire avec vous », a-t-il martelé, poursuivant son opération de séduction auprès des élus à quatre mois des élections municipales, un an après avoir boudé ce rendez-vous annuel. Un propos prémonitoire ?

Ludovic Rochette : « L’année dernière, le président Emmanuel Macron a compris l’importance du rôle de maire, et plus généralement celui des élus locaux. Je crois que la crise actuelle a permis aussi, enfin, aux hauts fonctionnaires parisiens, aux conseillers dans les ministères de comprendre ce que nous représentons. Enfin, je l’espère… La lutte se fait aussi en proximité ; la reconstruction elle aussi se fera grâce à la proximité. Il y 35 000 communes en France, profitons-en ! »

DLH : La paralysie du pays plongé dans le confinement et les contraintes imposées par la crise sanitaire fragilisent un peu plus le monde rural. Bon nombre de nos villages en Côte-d’Or n’ont ni commerce, ni pharmacie. Cette situation provoque de vraies angoisses pour les administrés les plus fragiles . La mobilisation des équipes municipales (agents et élus) apparaît comme la seule solution pour apaiser les inquiétudes ?

L. R : « Oui, heureusement que les communes sont là. On nous a trop rabattus les oreilles avec le fait qu’il y avait trop de communes, que la France comptait autant de communes que le reste de l’Europe. Et alors ? Aujourd’hui c’est une réelle force ! Une réelle force pour protéger nos concitoyens, pour protéger notre cadre de vie, pour protéger aussi notre économie.

Qui sont ceux aujourd’hui au côté de l’Etat et qui tiennent bon, afin de maintenir les services au public, afin de structurer les centres d’accueil des enfants des personnels prioritaires ? Les élus, ruraux, urbains, de droite, de gauche, sans étiquette… Mais aussi les agents des collectivités qui font un travail admirable. Dans toutes les communes, de nombreux bénévoles viennent nous voir pour nous aider, car ils veulent aider leurs voisins, dans LEUR commune. Sans les communes, nous aurions sûrement une crise sanitaire doublée d’une crise sociale. Et, après la crise, les collectivités auront un rôle fondamental à jouer afin de relancer notre pays ».

DLH : « La qualité du dialogue que nous entretiendrons sera décisive » face au coronavirus, a écrit Edouard Philippe à l’ensemble des maires. Ce dialogue, est-ce qu’il existe véritablement dans le département et sous quelle forme ?

L. R : « Dans notre département, le dialogue se fait au quotidien avec monsieur le Préfet et ses services. Vous m’avez souvent entendu – et vous m’entendrez sûrement encore après la crise – interpeller, critiquer l’Etat concentré et déconcentré. Mais je dois vous dire que nous sommes tous dans le même bateau ; et je remercie monsieur le Préfet qui, spontanément, consulte à chaque fois les élus locaux, et particulièrement l’AMF21. Et franchement, s’il y a un message à faire passer par la suite à l’Etat central, à Emmanuel Macron et au gouvernement : ce que nous faisons ici en Côte-d’Or pendant la crise, nous devons continuer de le faire ensuite, à l’échelle de notre Nation. Pas un jour ne passe sans un échange avec monsieur le Préfet ou son directeur de cabinet. Et ce ne sont pas des échanges de courtoisie mais bel et bien des discussions permettant ensuite des décisions stratégiques. L’exemple du dossier de l’ouverture ou de la fermeture des marchés alimentaires en est l’illustration ».

DLH : A l’instar de l’Association des maires d’Ile-de-France, avez-vous noué un partenariat avec l’Agence régionale de santé pour diffuser régulièrement une « information claire » à l’ensemble des élus ?

L. R : « Concernant la diffusion des informations, la première semaine du confinement a été chaotique et c’est bien compréhensible. Depuis, un système d’information a été bien mieux structuré. L’AMF21 est associée aux réunions (le plus souvent audio ou par Visio) organisées par le Préfet, et notamment au point hebdomadaire avec les parlementaires du département, le Conseil Départemental, la Métropole, l’ARS et l’Education Nationale. Un point aussi est fait par thématique : par communauté de communes, avec le monde économique… Nous apportons aussi de nombreuses informations à notre réseau, mais celles-ci doivent être ciblées et réactualisées. Car nos collègues maires sont parfois submergés de mails ».

DLH : De tous nouveaux élus vont se retrouver à gérer une pandémie sans connaître les rouages… C’est une de vos grandes préoccupations du moment. Le fait d’avoir des nouveaux élus qui ne connaissent pas toutes leurs prérogatives de maires, ce qu’ils peuvent faire, ne peuvent pas faire, et n’ont pas encore pris la mesure de leur fonction… doit être compliqué à gérer ?

L. R : « Nous vivons une période inédite en effet. Si les nouveaux élus trépignent, en attendant l’installation du nouveau conseil municipal, alors tant mieux car cela veut dire que la passion est là. Le plus souvent un binôme s’est organisé. L’ancien maire, mais encore en fonction, associe son éventuel successeur aux prises de décisions. C’est en fin de compte le meilleur des apprentissages, car la période demande sang froid, rigueur mais aussi endurance. Mais c’est un apprentissage, il est vrai, rude voire violent ».

DLH : Le report du second tour a contraint des maires qui souhaitaient passer la main, voire même d’autres qui ont très peu de chance d’être réélus au second tour à poursuivre leur mission pour une période indéterminée ? Comment vivent-ils cette situation ?

L. R : Il est vrai que certains collègues attendaient avec hâte la fin de mandat ; d’autres se sont fait battre aux élections. Certains rencontrent des situations personnelles très dures à vivre mais je dois avouer que je suis admiratif. Personne ne se défile ; tout le monde a bien compris que le contexte nécessitait des sacrifices, même dans le domaine de l’amour propre. Car cela est bien secondaire vis-à-vis des drames que vivent bon nombre de nos concitoyens.

DLH : Les élus locaux côte-d’oriens ont déjà payé un lourd tribut au Covid-19…

L. R : « Nous avons tous été attristés par la disparition de notre collègue Jacques Lajeanne, maire de Beurey-Bauguay, qui a été le premier maire en France à décéder à cause du COVID. Lui, mais aussi son épouse. Je l’avais rencontré une dernière fois en février dernier dans sa belle mairie, avec ses adjoints. C’était un homme vraiment attachant, et tellement attaché à sa commune.

Mais le virus touche tout le monde, et comme tout le monde, les maires sont touchés. Ils sont en première ligne. François Baroin, président de l’AMF, qualifie les maires de « fantassins de la République » ; c’est malheureusement bien vrai ».

DLH : En maintenant le premier tour des élections municipales n’a-t-on pas fait prendre des risques inconsidérés aux maires, aux élus, aux candidats, aux assesseurs et aux électeurs ?

L. R : « Fallait-il maintenir les élections ? Fallait-il maintenir la campagne électorale qui précédait ? Le temps n’est pas à ces polémiques. Le temps est à la lutte, je le répète, en proximité. Le temps viendra, à l’issue de la crise, où nous devrons répondre à ces légitimes interrogations. Mais franchement, ceux qui ont le temps de participer à ces polémiques, ne doivent pas être vraiment à la tâche actuellement, comme nous les élus, comme nos agents. Nous n’avons pas le temps pour ça, car chaque jour, nous travaillons afin que les services tournent, afin aussi de faciliter la vie de celles et ceux qui, à l’hôpital, se battent pour sauver nos concitoyens, nos proches, nos collègues. Aujourd’hui nous devons aider l’Etat, l’aider, s’il le faut, à orienter ses interventions. C’est aussi la responsabilité des 698 maires de Côte-d’Or ».

DLH : Selon vous, faut-il aller vers un confinement beaucoup plus sévère ?

L. R : « Une des clés pour sortir de la crise est le respect absolu des règles de confinement. Et là encore les collectivités jouent un rôle majeur, notamment en terme de pédagogie. En début de crise, comme beaucoup d’autres élus, j’ai fait du porte-à-porte afin d’alerter les habitants de ma commune, et plus particulièrement les plus fragiles. Et les effets sont là. Ça a été pour certains l’électrochoc nécessaire.

Une chose est désormais claire, l’Etat doit faire confiance aux collectivités locales ; elles prouvent encore aujourd’hui, que face à l’échec d’une mondialisation effrénée, nous nous relèverons par la proximité. Ce que j’appelle la capillarité qui s’oppose à ce que l’on a voulu nous imposer : la théorie caduque du ruissellement ».

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre