Les brèves de Jeanne Vernay

Œufs brouillés

Je suis sortie en vitesse acheter des œufs – un aliment nutritif et en général à la portée de bien des budgets. Sans oublier l’argument de poids écolo : les poules assurent une production journalière sans impacter l’empreinte carbone des consommateurs. Bref, je cours en vitesse à la petite supérette à deux pas de mon domicile : le coût d’un œuf jadis à 42 centimes a franchi la barre des 58 centimes ! Pour être totalement objective, j’ai vérifié : il s’agit d’un élevage différent. Alors de deux choses l’une, soit c’est la centrale d’achats à laquelle cette petite surface a recours qui a été contrainte pour une raison ou une autre de changer de fournisseur, soit il s’agit d’une stratégie délibérée pour brouiller les raisons de la hausse fulgurante. Puisqu’on en est à casser la coquille, un mot encore : des amis, heureux « otages » d’un chat noir adorable et abusivement affectueux, ont eu la désagréable surprise de constater une grimpée de 20% sur les boîtes de pâté destinées au gentil félin. Voilà le retour des marchands du temple !

 

Poisson

1er avril ! Tiens, j’avais oublié le poisson facétieux qui ne fait pas ami-ami avec les chats et navigue de dos en dos chez les humains en temps de paix sanitaire. Il est vrai qu’on est en guerre contre ce sale requin de Coronavirus… Depuis deux/trois jours, la nouvelle courrait ici ou là à la radio comme à la télé et ce n’est pas un poisson d’avril : Roselyne Bachot est en voie de réhabilitation. Dieu sait, si on l’avait moquée. L’ancienne ministre de la santé avait été violemment mise en cause en 2009, lors de la crise de la grippe H1N1, pour avoir commandé en masse des masques et des vaccins. Elle pourrait triompher, enfin ! Elle a l’élégance morale de ne pas le faire. Comme quoi, avoir raison trop tôt, c’est toujours aussi mal vu. Les sommes qu’elle avait engagées à titre préventif sont sans commune mesure avec ce que coûte la pandémie actuelle qui, faute de stocks de masques suffisants, a pris l’ampleur que l’on sait.

 

Chemin de croix

C’est toute la confiserie de Pâques qui est chocolat. Les lapins, les poules et leurs œufs multicolores, les cloches enrubannées font grise mine dans les rayons des magasins d’alimentation ouverts. Le cœur n’est pas à la fête et Pâques se révèle être un chemin de croix pour tous les artisans-confiseurs contraints à fermer boutique. Même les ventes via le site Internet se sont écroulées. La majorité de ces artistes que sont les véritables chocolatiers avait réalisé 80 % de la production, lorsque sont tombés les décrets de confinement. En aval d’autres dommages collatéraux, comme la mise au chômage partiel de leurs salariés ainsi que de leurs apprentis… Ne cherchez pas ce dimanche œufs et lapins au pied des arbres du jardin ou dans les brins d’herbe du pré voisin. Hélas ! Les chocolats ont pris la clef des champs.

 

Dura lex, sed lex

Le Préfet de Bourgogne rappelle dans un nouveau communiqué que ni les jardineries ni les pépinières n’ont l’autorisation d’ouvrir. Leurs enseignes sont logées au même titre que les autres commerces, hormis les pharmacies et le secteur alimentation. Dura lex, sed lex ! Evidemment , jardiniers en herbe et mains vertes confirmées ne sont pas joyeux, alors que la météo nous offre un printemps somptueux : arbres en fleurs, pâquerettes, violettes et primevères, jonquilles ou narcisses ornent jardins et gazons avec une beauté qui semble insolente par ces temps de confinement.

 

Scuds

Le bonheur n’est pas non plus dans le pré pour les salariés qui travaillent dans le secteur de l’armement. Curieusement comme il s’agit d’un domaine lucratif à l’extrême, la France – l’un des principaux producteurs du monde – maintient la cadence. C’est ainsi que Matra Défense poursuit activement sa production de fusées ainsi que de missiles. Les ouvriers travaillent bien évidemment sur site. Tout comme les collaborateurs ingénieurs ou personnels administratif – dont ma cousine. La raison en est simple : le travail en télé-distance chez soi est hors de question, puisque tous sont soumis au secret-défense. Or, lors d’un récent sommet à Berlin, les dirigeants de onze pays – dont la France – ont promis de respecter l’embargo sur les livraisons d’armes à la Libye, déchirée par la guerre civile. Itou pour la Syrie. Comme quoi diplomatie et raison d’état font fi du coronavirus quand il s’agit d’alimenter les caisses.

 

Pépins d’Orange

Décidément, je ne suis pas emballée du tout par le service de dépannage de l’opérateur Orange. Pour cause de réseaux téléphoniques surchargés, le pilotage informatique soi-disant proposé s’est interrompu brutalement, me laissant totalement désemparée. Jugez-en ! En plein confinement à l’instar de la moitié de la planète, me voilà sans Internet, sans téléphone fixe, sans télé et donc face à moi-même. J’ai beau apprécier en général la solitude, à ce stade de désarroi, je comprends vite que je n’ai pas la vocation d’une carmélite. Et comme Orange me prend pour une pomme, je m’empare de mon smartphone – Dieu merci, il est le seul à échapper à ma bérézina – et je contacte la société dijonnaise de dépannage informatique ORDIServices. La gérante me propose un rendez-vous par téléphone avec l’un des techniciens. A 16 heures pile-poil, celui-ci me contacte et me guide avec une pédagogie admirable tout au long des différentes étapes qui me permettront enfin de revenir à l’ère contemporaine du numérique. Coût de ce dépannage salvateur – ô combien ! : 48 euros TTC. La somme est modeste et mon bonheur immense. Me revoilà connectée. Du coup, je vérifie mille fois par jour que tout fonctionne : suis-je victime du syndrome des tocs ? Allez savoir…

 

Solidarité

Ma voisine de palier est adhérente de l’OPAD. Or, en fin de matinée, elle a eu l’heureuse surprise de recevoir un coup de fil de l’un des bénévoles de l’association, lui demandant si elle avait besoin d’une aide quelconque. Pour l’instant, elle se suffit à elle-même. Il n’empêche qu’elle a été touchée par cette initiative qui – satisfaisons au langage des média ou des politiques – « fait lien ». De même, il se développe entre habitants d’un même immeuble ou dans un voisinage restreint une véritable prise en charge à tour de rôle : se charger de courses, passer à la pharmacie ou s’arranger pour revenir les bras chargés de pain frais. Je trouve ça rassurant qu’on redevienne pleinement humain. Il est simplement regrettable qu’il faille attendre qu’on vive une crise profonde pour redonner au mot « prochain » son sens premier.

 

Jachère

A force de faire le tour du quartier en humant les odeurs de printemps qui émanent des jardins, j’en arrive à m’attarder sur la beauté des façades des maisons ou des petits immeubles datant des années 30. C’était une époque où architectes et simples constructeurs avaient à cœur d’enraciner des motifs floraux au frontispice des portes d’entrée, sur les balustrades des fenêtres. Ou de faire courir des fresques sous le débord des toits. Dommage qu’aujourd’hui, les promoteurs nous gratifient de constructions aux façades lisses, d’où tout motif végétal est banni. Il est vrai que les jardins publics ou les parcs sont baptisés « espaces verts » ou – vocable plus insipide encore – « espaces arborés ». De même les campagnes sont devenues des zones rurales. Ainsi, dans notre vocabulaire en jachère, on ne fait plus pousser ni herbes folles ni…pensées.