Dans les tragédies grecques, la force du destin prévalait… Les élections municipales sont un peu comme cela, certains se voient un destin, d’autres le réalisent. L’agora – autrement dit les électeurs – trancheront dans les urnes les 15 et 22 mars prochains et choisiront leur héros. Nous vous proposons de revêtir nos toges de devins…
« On ne lutte pas contre la force du destin… » C’est en faisant de cette formule un axiome philosophique qu’Eschyle, l’un des plus célèbres dramaturges de la Grèce Antique, a bâti une grande partie de son œuvre. Celui qui a participé à la genèse du genre tragique pourrait, qui sait, écrire une pièce remarquable sur ce qui se joue aujourd’hui dans la cité des Ducs. Les élections municipales sont ainsi : à la fin, au soir du 22 mars prochain – tout porte à croire que deux tours seront nécessaires, nombre de listes oblige), le visage d’un héros – non grec mais dijonnais – se dessinera sur la tour Philippe Le Bon. Nous ne sommes pas les descendants des grands devins hellénistes, comme Tirésias ou Cassandre, et, l’écologie étant dorénavant entrée dans les mœurs, hors de question pour nous de sacrifier un volatile et de tenter de discerner dans ses entrailles qui sortira vainqueur. Heureusement, depuis le 5e siècle avant Jésus-Christ, le progrès est intervenu, et, aujourd’hui, les sondages permettent de phosphorer sur l’avenir.
Dans la capitale régionale, remercions donc nos confrères du Bien Public qui ont publié, dans leurs éditions du 18 février dernier, la seule enquête réalisée pour l’instant par l’IFOP sur Dijon entre le 4 et le 7 février derniers. Même si les précautions d’usage sont toujours de rigueur avec ces photographies de l’opinion et qu’il ne faut jamais occulter les traditionnelles marges d’erreurs statistiques, cet instantané a permis de mesurer l’état de forme des combattants à la veille de la bataille finale.
Pas de vase communicant
Force est de constater, comme nombre de pythies politiques le subodoraient, que François Rebsamen, qualifié de 38% et sortant de facto largement en tête, bénéficierait de ce que l’on peut qualifier de belle prime au sortant. Certes ses contempteurs ont relevé que ce score (présupposé) était inférieur à ses 44,27% obtenus au 1er tour en 2014 et aux 42,16 % en 2001. Et évidemment à ses 56,22% qui lui avait valu une statue de commandeur sans passer par la case 2e tour en 2008 face à François-Xavier Dugourd.
Après avoir vaincu la maladie – et forcé son destin –, sa détermination est apparue plus forte que jamais lors de la présentation de son équipe et de son programme au cellier de Clairvaux le 6 février dernier. Pour preuve, celles et ceux qui pouvaient encore imaginer que le « patron » pourrait seulement être candidat à la tête de Dijon métropole, laissant Dijon à l’un (e) de ses lieutenant (e) ont vite été refroidis : « Je vais bien, je suis guéri et je suis candidat pour être maire de Dijon et président de Dijon métropole ! » Et ce n’est pas ce sondage qui va lui donner tort, accordant, à Dijon comme ailleurs dans les grandes villes de l’Hexagone – enfin là où le bilan est visible –, une prime au sortant. Certes, cette prédiction montre que le socle s’est légèrement effrité mais, à l’aube de son 4e combat pour rester premier magistrat – les aventures victorieuses ont débuté en 2001 à la succession de Robert Poujade –, ne doutons pas qu’il a souri en découvrant ces estimations. Surtout en s’apercevant que la vague verte qui s’annonce – là aussi à Dijon comme ailleurs, les européennes de 2019 n’ayant été qu’un avant-goût – ne se ferait pas selon le principe des vases communicants avec sa liste… Car tel est le 2e enseignement majeur de ce sondage : avec 25% au total, que récolteraient les deux listes écologiques, ce serait un quart des électeurs qui cèderaient aux sirènes des guerriers originels engagés contre le réchauffement climatique.
Prédictions apocalyptiques
Et là, aucune ambiguïté n’est possible : ce sont les nouvelles générations, tout du moins les moins de 35 ans, qui veulent se voir un avenir en vert… enfin déjà un avenir tout court, voulant enterrer les prédictions apocalyptiques dont il est question pratiquement au quotidien. Europe Ecologie-Les Verts, derrière Stéphanie Modde, réussirait le tour de force de s’ériger à la 2e place (avec 20%)… Et, naturellement pourrions-nous écrire, ces intentions de vote aurait été plus élevées pour ceux qui ont décidé de jouer seul leur atout cette fois-ci, après avoir trois fois jouer la carte de l’unité, si le dissident Bruno Louis et son « printemps écologiste » (5%) n’était pas venu leur scier quelque peu la branche sur laquelle ils sont assis.
Parmi les grands battus de ce sondage, citons Emmanuel Bichot, le chef de file Les Républicains dont la liste Agir pour Dijon est loin de pouvoir, au lendemain du 2e tour, prétendre réellement agir pour Dijon… Si ce n’est, encore, sur les bancs inconfortables de l’opposition. Avec un maigre 16% d’intentions de vote, le conseiller général ferait le plus faible score de la droite dans la capitale régionale depuis… l’Antiquité, comme certains de ses « amis politiques » se sont plus à commenter.
Que dire de Sylvain Comparot, la tête de la liste Dijon l’avenir ensemble, soutenue par La République En Marche et l’UDI, qui lui serait 10 points plus bas, et ne réussirait même pas à accrocher la barre des 10% synonyme de maintien possible au 2e tour ! Il faut dire que Sylvain Comparot doit résoudre une équation pythagorienne pratiquement insoluble (n’est pas Jupiter qui veut !): l’ancien socialiste doit à la fois porter l’étiquette En marche, qui ressemble fort actuellement au rocher de Sisyphe, tout en n’étant pas légitime pour nombre de marcheurs, le député Didier Martin en tête. Ce qui fait qu’il sortirait au même niveau qu’Arnaud Guvenatam, le candidat de la France Insoumise…
Si l’on en croit enfin ce sondage, Damien Cantin et le Rassemblement national avoisineraient eux avec cette barre des 10%, sa communication avec les « faux PV » de Divia sur les pare-brises des véhicules ne leur ayant pas, semble-t-il, ouvert une autoroute…
A l’époque de la Grèce antique, l’heure n’était pas aux voitures – et encore moins à la limitation des rejets de gaz à effet de serre – mais aux chars ! Tels sont donc les forces en présence des auriges des temps modernes dans la dernière ligne des élections municipales. Pour certains, ce sera une tragédie, pour d’autres un pari sur l’avenir mais un seul se verra remettre à l’issue la toge du héros… enfin l’écharpe de maire !
Camille Gablo