1980 / 2020. Deux fois 20 ans déjà ! Yan Pei-Ming arrive à Dijon à l'âge de 20 ans où il intègre l'école des Beaux-arts. D’élève, il deviendra un temps professeur, puis pensionnaire à la Villa Médicis en 1993. C’est là qu’il « s’explore », concevant une œuvre titanesque et revisitant cet ancien conte chinois des 108 Brigands - composé de portraits de son entourage à Rome ou de visiteurs rencontrés.
Depuis, il ne cessera de boxer avec l’immensité des toiles, avec la complexité des espaces intérieurs de l’âme humaine, avec l’Histoire de la planète en marche - en déroute surtout - dans un jeu d’ombres ensanglantées. Sa griffe, sa patte de dragon chinois ? Mêler avec maestria au fond d’une œuvre au noir l'actualité, la critique politique, la métaphysique et l’insondable cruauté du bestiaire humain. En un mot, cet homme familier des silences dans sa vie, crie sur les murs, bouscule Dijon. Et transperce le monde !
Fantastique portraitiste – sa série des Mao traités en grisaille sur de grands formats le rendra célèbre dans le monde - il devient un « monument » de Dijon avec l’amour pour notre cité fiché au fond du cœur. Tout en envoyant un uppercut à une peinture occidentale piégée dans la fausse abstraction ou prise dans des faux-semblants chapardés à la volée aux grands artistes américains. Dès lors, Yan Pei Ming devient cet artiste habité par une fougue toute balzacienne : « Je conçois la peinture comme une attaque, une détermination qui a un sens à la fois spirituel, moral mais aussi critique ».
Son exposition « L’Homme qui pleure », qui a fait de la réouverture du Musée des Beaux-Arts, a constitué un événement national, tout comme le furent sa confrontation avec Courbet à Ornans, au Petit-Palais ainsi qu’au Musée d’Orsay à Paris. Toutes ces manifestations sont la démonstration en force de ses joutes picturales, de la résonance universelle de ses « corps à corps » brossés à coups de traits ensanglantés de noir ou de gris. Ses portraits, ses improbables fantastiques paysages urbains sont présents dans des galeries réputées ou dans les musées de New-York, de Pékin, de Shanghai, de Berlin, de Tokyo, de Londres etc. Cette acuité sur la vie d’une humanité constituée de prédateurs et de victimes traduit une impression de « survivance » troublante, angoissante… La densité ainsi que la matérialité de sa peinture confèrent à la création de Ming une dimension du tragique, proche du fatum des Grecs. Un journaliste a écrit de lui avec beaucoup de justesse qu’il était « le 1er Empereur d’un… Milieu instable ». De l’exposition « L’Homme qui pleure » au Musée des Beaux-Arts, demeure aujourd’hui la série de portraits de sa mère dans son extrême vieillesse. Exposés dans la salle des Gardes, ils opèrent comme la résonance, par-delà la mort, des tombeaux des Ducs de Bourgogne. Poignant ! Questionnant !
Plus que jamais, Yan Pei Ming s’avère le grand messager de la Cité, comme il le fut lors de la grande opération Dijon-Must-Art 2010 : il avait accompagné les Pleurants dans leur pèlerinage à travers les musées américains, avec son tableau représentant un Christ gisant sur une mer d’écumes. C’était là son hommage à l’immense peintre italien Andrea Mantegna. Un an auparavant, Ming fut parmi les trois peintres contemporains exposés de leur vivant au Louvre : il y dévoila ses gigantesques funérailles de Mona Lisa à quelques mètres de la Joconde du maître florentin. Ming se plaît à se mesurer ainsi aux grands de la peinture ou de la sculpture occidentale : Le Caravage, Goya, Courbet, Claus Slutter, Le Moiturier, la Huerta… Il aime se laisser surprendre face au monde en flagrant délit de combat ! Tout comme en flagrant délit de génie!
Marie-France Poirier