Antisémitisme : le message d’alerte

Israël, 22 janvier. Scènes bouleversantes, moments poignants. Au mémorial de Yad Vashem près de Jérusalem, où est commémoré l’anniversaire des 75 ans de la libération du camp d’Auschwitz, et où est rendu un hommage aux juifs d’Europe et d’Europe centrale morts en déportation, une jeune violoniste joue le « Chant des déportés » sur un instrument ayant appartenu à un luthier du ghetto de Varsovie. Une autre jeune fille lit la dernière lettre d’une adolescente déportée à sa famille d’accueil. « Il faut que j’aie du courage », écrivait la petite Colette, qui n’est jamais revenue. Le président de la République assistait à cet hommage rendu aux 73 853 Juifs de France, victimes du nazisme.

C’est la première fois qu’un chef d’état français – on sait le soutien appuyé d’Emmanuel Macron à la communauté juive – est venu se recueillir devant ce « mur des noms » où sont inscrits les patronymes, origines, dates et lieux de déportation des juifs déportés. Alors que la plupart des pays étaient représentés à ce sommet planétaire en mémoire d’un des plus grands holocaustes, l’Ifop et l’American Jewish Committe rendaient public un sondage qui sonne comme un verdict tragique : un tiers des Français de confession ou de culture juive déclarent se sentir menacés dans l’hexagone. Un message d’alerte lancé aux pouvoirs publics !

Une crainte justifiée, bien réelle… Car elle est liée au contexte de recrudescence des actes à caractère antisémite : profanations de cimetières quasi-mensuelles, menaces sur les établissements scolaires, violence lors d’activités périscolaires ou de manifestations sportives, saccages de magasins, agressions dans la rue ou dans les quartiers contre de jeunes enfants ou des lycéens, meurtres perpétués à l’encontre de personnes d’origine juive etc. Le rapport du Ministère de l’Intérieur tombe comme un couperet : « Le nombre de faits à caractère antisémite a fortement augmenté en 2017, soit une augmentation de 74%. » La situation est infiniment grave.

Que faire ? Que vaut le travail de réminiscence entrepris depuis des décennies ? On aurait pu penser que les nombreuses rencontres, qui se sont déroulées en milieu scolaire entre rescapés des camps, historiens spécialistes de la Shoah et enfants ou adolescents, auraient eu raison de l’antisémitisme. Il n’en est rien. C’est affligeant, nauséabond. Ne soyons pas dans le déni : la France a toujours eu, et conserve hélas, un fond de commerce maurassien traditionnel, avec ses journaux et ses intellos. Mais l’antisémitisme évolue et évolue masqué sous un fatras d’idéologies funestes : il y a actuellement une nouvelle extrême-droite française qui s’apparente fortement au mouvement suprématiste né aux USA, lui-même à l’origine de meurtres commis contre des citoyens juifs américains. L’extrême gauche made in France n’est pas en reste non plus. Ajoutons qu’il existe sur notre sol des bastions religieux extrémistes ou d’islamisme intégriste qui sont un terreau fertile pour l’antisémitisme, d’autant qu’ils avancent masqués sous couvert d’antisionisme, et ce, avec la bénédiction de toute une intelligentsia bêtifiante et sans courage aucun !

Robert Badinter vient de publier un très beau livre consacré à la mémoire de sa grand-mère Idiss et à l’histoire de sa famille qui avait quitté la Russie tsariste, victime des progroms à répétition… Comme l’écrit François Sureau : « Son histoire est la nôtre ». Surtout, n’oublions plus !

Marie-France Poirier