La droite dijonnaise rêve de retrouver l’allant qui fit sa fortune le siècle dernier. Elle est bien décidée, dans la perspective des prochaines élections municipales de mars prochain de ne plus se contenter du fatalisme électoral qui l’accompagne depuis mars 2001, avec trois défaites consécutives, et qui semble l’empêcher de se mettre au dessus des conflits internes et des vaines polémiques. Etat des lieux au moment où certains ont fait le choix de prendre un chemin de fuite ou de dérivation.
Je vais vous parler d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître…
Mars 2001 : tout est cul par-dessus tête. Et depuis cette date qui mit un terme à trente années de pouvoir sans partage, la météo n’a plus jamais été favorable à la droite dijonnaise. Voilà près de 20 ans qu’elle prend l’eau régulièrement aux élections municipales. De l’eau en quantité considérable, astronomique parfois. De l’eau comme il en coule seulement dans les grandes occasions, les déluges, les raz de marée…
Depuis 2001, le désordre est son royaume. Le suffrage universel est devenu son talon d’Achille. Depuis 2001, elle est à la peine face à François Rebsamen. A tel point qu’il serait fastidieux de relever le nombre de couacs, de dysfonctionnements, d’imprudences, de mauvais choix, de contradictions et d’incohérences qui ont altéré gravement le chemin de la reconquête que beaucoup n’ont pas hésité à comparer à un chemin de croix.
Depuis 2001, l’électorat a découvert ceux qui ont quitté définitivement la politique, par choix ou par nécessité, ceux qui ont été contraints de s’en éloigner après quelques revers mais qui s’emploient à revenir, ceux qui n’ont jamais compris que le pouvoir les avait délaissés pour un temps ou pour toujours.
Trois défaites de rang
Les élections soulèvent des tempêtes rhétoriques et il est toujours curieux, une fois qu’elles sont passées, d’aller voir ce qu’elles ont laissé sur le sable.Longtemps, on aura disserté sur la droite dijonnaise, comme on le fait du sexe des anges. Tenons nous en cette fois aux faits et aux résultats :
– Mars 2001 : l’année de l’alternance. Jean-François Bazin, lesté par ses cinq mandats consécutifs aux côtés de Robert Poujade, est battu (47,86%) par François Rebsamen (52,14%) qui promet de « réveiller la belle endormie ». Sept listes étaient présentes.
– Mars 2008 : le scrutin n’est qu’une formalité pour François Rebsamen qui l’emporte dès le premier tour (56,22%) face à 5 autres listes. Le candidat de la droite, François-Xavier Dugourd, obtient 36,36 %.
– Mars 2014 : François Rebsamen est réélu au terme d’une triangulaire avec 52,84 %. Le sénateur Alain Houpert qui avait grillé la tête de liste à Emmanuel Bichot, réalise, au passage, le plus mauvais score de la droite aux municipales avec 34,02% et n’offre que dix élus sur 59 à son électorat. Le Front national, qui s’est invité au second tour, obtient 13,13 %.
Après ses trois défaites de rang dont les deux dernières ont été sans appel, la droite joua la politique de l’autruche avec la tête (pour le moins déboussolée) résolument dans le sable. Ses efforts pour éviter une quelconque auto-critique ont même eu quelque chose de fascinant dans leur constance et leur entêtement. Pourquoi, surtout, la droite n’a-t-elle pas eu, selon le mot de Charles Péguy, le courage de voir ce que l’on voyait. Au lieu de cela, la droite s’est contentée d’enfouir la poussière sous le tapis. S’en tenir là, c’était nier l’évidence… Il aurait fallu une immense psychanalyse de groupe pour réparer, panser et penser ce qui a été abîmé. Peut-être le miroir n’offre-t-il à voir que le simulacre de soi-même, mais n’est-ce pas mieux que de prendre le risque de confondre ce que l’on est avec ce que l’on entend être ?
Les mois qui suivent la lourde défaite de mars 2014 diffusent un requiem qui chante en lamento le naufrage. La droite dijonnaise ressemble à un grand bateau démâté qui tangue entre activisme et abattement. Alain Houpert est vite relégué au rang de troisième couteau. Il est vrai que depuis que Brennus jeta son glaive dans la balance pour humilier Rome conquise, le principe « Vae victis ! » -malheur aux vaincus- reste en vigueur. La politique n’est pas le monde des bisounours. Surtout à Dijon.
On se bouscule sur la ligne de départ
Mars 2014 : la droite n’a que 10 représentants au sein du conseil municipal. 10 représentants qui ne cessent de se déchirer, rétrécis dans leur système de pensée et leur langue morte. Les insinuations, les accusations, les polémiques, les cris d’orfraie, les divisions qui éclatent au grand jour… aboutissent naturellement à la création de différents groupes, premier coup de boutoir dans l’union cristalline de la droite. Les années vont passer et jeter une lumière crue, cynique, accablante sur une réalité bien triste : à la rigueur, on peut épiloguer sur le talent des comédiens mais fondamentalement, une farce ne prête qu’à rire.
L’année 2018 n’est pas encore finie que des voix se font entendre, ou plutôt des appétits se réveillent et soufflent un peu plus sur les braises. Avec l’air de ne pas y toucher, on insinue, on distille les rancoeurs et les haines. Les mêmes, souvent, qui ont proclamé la main sur le coeur « plus rien ne sera jamais comme avant » et qui se sont aussitôt ingéniés à reconstruire les murs idéologiques qui les protégeaient de toute remise en question. C’est que la force du déni est telle qu’elle peut effacer le réel, même quand il s’impose avec brutalité.
Trois candidats se détachent parmi les conseillers d’opposition pour conduire la droite : Emmanuel Bichot, Laurent Bourguignat et Franck Ayache. Trois candidats, ce qui prouve qu’elle n’en a pas. Le premier, proche de Jean-François Copé, revendique le soutien de Laurent Wauquiez, feu président des Républicains. Le second, plus gaulliste que les gaullistes de la première heure, ne s’entend pas avec le premier et affirme même dans nos colonnes à propos des recours contre la Cité de la Gastronomie que « la condamnation d’Emmanuel Bichot marque forcément une étape dans la préparation des prochaines élections municipales. Ce n’est pas commun, en effet, de voir un conseiller qui aspire à diriger une ville être condamné au profit de cette propre ville. A ma connaissance, c’est une situation inédite. »
Quant au troisième, il est membre de l’UDI dont le président départemental, Pascal Grappin, donne un ton particulier au communiqué qu’il publie le 11 juillet dernier : « Aujourd’hui, l’enjeu est tout autre. Il s’agit de construire un très large rassemblement de femmes et d’hommes qui sont prêts à bâtir et à partager un projet ambitieux pour Dijon (…). Ce très large rassemblement doit être au service d’une ambition collective (…). Le choix d’Emmanuel Bichot comme tête de liste Les Républicains, avant même de travailler à la construction de ce large rassemblement va le rendre plus difficile aujourd’hui ». Conséquence logique, Frank Ayache fait le choix de migrer sur une liste qui se dessine avec La République En Marche, représentée par Charles Rozoy, et « Pour Dijon », association qui se dit indépendante de tout parti politique, représentée par Sylvain Comparot, un ensemble disparate d’avis et d’amitiés de circonstance, où il retrouvera la conseillère municipale d’opposition Virginie Vairelles-Voisin dont la proximité politique avec Laurent Bourguignat a fait long feu. Ce dernier a, en effet, décidé de se remettre en ménage politique avec Emmanuel Bichot, sous la pression amicale de François-Xavier Dugourd, 1er vice-président du Conseil départemental et président des Républicains, Rémi Delatte, député de la 2e circonscription et Bernard Depierre, ancien député. « Je fais un choix de responsabilité. On ne peut pas gagner seul. Il faut jouer collectif. Je fais aussi le choix de la fidélité à ma famille politique. Avec Emmanuel, nous avons beaucoup parlé ces dernières semaines. Des heures de discussion sur notre vision de l’avenir de Dijon, nos projets pour la ville, parfois même sur nos différences. A l’évidence, ma sensibilité et mes idées seront respectées. Nous sommes complémentaires et nous allons additionner nos forces » s’est-il ainsi justifié.
On le voit, la situation est loin d’être simple pour une droite dijonnaise qui n’est pas à l’abri d’une nouvelle explosion sous le poids de ses contradictions et des dissensions, voire même des haines accumulées. Il est vrai qu’en politique, la haine est souvent un moteur décisif. Elle vous pousse en avant, vous stimule, vous motive. Vous aveugle aussi parfois.
Jean-Louis Pierre