Le Requiem d’André Campra sera interprété le jeudi 21 novembre à l’Auditorium de Dijon à 20 heures par le Chœur et l’Orchestre du Concert d’Astrée dirigée par Emmanuelle Haïm.
Il faut attendre la fin du 17e siècle pour voir apparaître d’assez nombreuses mises en musique de la messe des morts, que l’on a pris l’habitude de désigner par les premiers mots de son Introït (introduction) :
Requiem aeternam dona eis, Domine.
Et lux perpetua luceat eis.
Donne-leur, Seigneur, le repos éternel.
Et que la lumière éternelle brille pour eux
Cette prière provient d’un texte apocryphe (c’est-à-dire rejeté par l’Église comme inauthentique) de l’Ancien Testament, le quatrième livre du prophète Esdras (§ 34-35) : « C’est pourquoi je vous dis, nations qui entendez et comprenez : attendez votre berger ; il vous donnera le repos éternel, parce que celui qui viendra à la fin du temps est tout proche. Soyez prêts pour la récompense du royaume, car la lumière éternelle luira sur vous pour toujours... »
La messe des morts, qui a reçu son élaboration spécifique au cours du Moyen Âge, comporte, outre cet Introït, des textes qui lui sont propres (comme les poèmes du Dies Irae, du Libera me) et elle omet le Gloria et le Credo des messes habituelles. Pendant très longtemps, on a surtout chanté lors des funérailles la messe des morts grégorienne sans demander à des compositeurs une musique particulière.
Les premiers Requiem autres que grégoriens seraient dus, au XVe siècle, à Guillaume Dufay (1400-1474) et à Johannes Ockeghem (1410-1497) : celui de Dufay est perdu, mais Roland de Lassus dans son Requiem de 1578 s’en serait inspiré. Nous possédons ensuite, datant de la fin du 16e siècle, une Messe des morts d’Eustache du Caurroy, avec accompagnement instrumental important, tandis que celle d’Étienne Moulinié, de 1636, purement vocale, est composée dans un style archaïsant. Modeste est également la première Messe pour les trépassés (H 2) de Marc-Antoine Charpentier, écrite vers 1670, qui comporte un nombre réduit de mouvements et où les instruments interviennent entre les chœurs, sans jamais les accompagner.
La fin du XVIIe siècle voit, en revanche, apparaître une floraison de Messes des morts beaucoup plus étoffées et solennelles : deux de M.-A. Charpentier (H 7 et H 10), celles de Jean Gilles et d’André Campra, en France, de Giovanni Battista Bassani en 1698 en Italie, le Requiem de Biber (de date précise inconnue) en Europe centrale. À ces musiques composées pour des funérailles de grands personnages, il convient d’ajouter la célèbre Music for the Funeral of Queen Mary (1695) de Purcell. Les églises protestantes, elles, n’ont pas pratiqué la messe des morts avec accompagnement de musiques composées pour l’occasion.
L’espérance de la lumière éternelle
André Campra naît à Aix-en-Provence où il est l’élève de Guillaume Poitevin (également maître de Jean Gilles), puis il travaille dans le Midi de la France pendant trente ans, successivement à Toulon, Arles et Toulouse, avant d’être appelé en 1694 à Paris, où il occupe jusqu’à sa mort diverses fonctions prestigieuses. À partir de 1700, il se consacre surtout, pendant une vingtaine d’années, à composer des opéras tels que Tancrède ou Camille reine des Vosges. Nommé en 1723 à la Chapelle Royale, il écrit désormais plutôt des œuvres religieuses.
La date de composition de son Requiem est discutée : l’aurait-t-il composé pour les obsèques, le 26 novembre 1695, de l’archevêque de Paris, François de Harlay ? Le réemploi dans certains mouvements de motets antérieurs le suggère, mais certains proposent une date bien plus tardive, entre 1732 et 1742, en se fondant sur le réemploi dans la partie finale d’un psaume de 1723, ainsi que sur des critères stylistiques qui le rattacheraient à ses œuvres tardives.
Contrairement à beaucoup de ceux qui suivront, à commencer par celui de Mozart, le Requiem de Campra n’est pas une œuvre sombre. Elle n’illustre ni la crainte de la mort, ni celle du Jugement Dernier et des peines éternelles. Le Dies irae en est totalement absent. Serait-ce parce qu’une œuvre destinée aux funérailles d’un prince de l’Église ne saurait laisser penser que celui-ci pût redouter les peines infernales ? Nous croyons plutôt que Campra exprime ici une conception apaisée de la mort et du destin de l’âme, en mettant un accent insistant sur l’espérance de la lumière éternelle, évoquée à sept reprises tout au long de l’œuvre. Au contraire, les peines de l’enfer ne sont évoquées que dans un seul passage, plus dramatique et tendu que les autres. L’essentiel semble résider plutôt dans le repos et la lumière éternels que Dieu, bienveillant (pius), accordera aux fidèles défunts. Cette atmosphère particulière se retrouvera dans d’autres Requiem français composés au XXe siècle par Gabriel Fauré, Maurice Duruflé ou Alfred Désenclos.
Comme il était alors de tradition dans la musique religieuse française, les voix sont divisées en solistes, petit chœur et grand chœur à cinq voix (sopranos, altos, ténors, barytons et basses) : ces groupes alternent souvent et même se répondent au sein d’un même mouvement. Les compositeurs de cette époque-là ne définissent qu’approximativement l’instrumentation, qu’ils confient au bon goût des interprètes, dans le respect des tessitures propres aux différents instruments. Campra n’a ici rendu obligatoires que flûte, cordes et orgue.