Nos 19 centrales nucléaires ont beau se fondre dans le paysage français, elles ne se font jamais totalement oublier. Ne serait-ce que parce que l’électricité qu’elles fournissent ne brille pas pareil pour tout le monde : la fée Electricité peut se métamorphoser en fée Carabosse en fonction du lieu où l’on habite… Six cents mille de nos compatriotes vivent, travaillent et respirent à moins de 10 km d’une centrale nucléaire. Un tel voisinage leur octroie depuis 20 ans un super bonus : la distribution gratuite de comprimés d’iode stable qui saturent la thyroïde et par conséquent l’empêchent de capter ou de fixer l’iode radioactif rejeté dans l’atmosphère, lors d’un incident ou d’un accident.
L’autorité de sûreté nucléaire fait montre aujourd’hui de nouvelles largesses, étendant à 20 km le périmètre de prévention. Au total, ce sont désormais 2,2 millions de français, vivant de 10 à 20 km qui se trouvent concernés. Un courrier vient de leur être envoyé : il est demandé d’aller retirer dans l’une des 646 pharmacies accréditées les fameuses pilules d’iode. Cette extension concerne principalement les régions du Pas-de-Calais, une partie du Lyonnais. Plusieurs villes ou bourgades de la Nièvre et de l’Yonne, situées près de la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire, sont ciblées par cette nouvelle campagne de distribution de comprimés d’iode, qui a démarré dans 1063 communes.
Pourquoi rajouter autant de gagnants à ce jackpot du nucléaire ? La raison en revient à la catastrophe de Fukushima en mars 2011 et à l’ampleur dévastatrice en matière de santé publique. Il n’empêche qu’il aura fallu attendre 2016 – soit 5 ans plus tard – pour que Ségolène Royal, ministre de l’Ecologie de l’époque, fasse adopter par le Parlement l’extension des périmètres de sécurité en France de 10 à 20 km. Alors super ! C’était dans la poche – ou plutôt dans la gorge – les médocs préventifs et salvateurs gratis ? Que nenni ! Parlementaires et Exécutif avaient enfoui les décrets d’application sous une chape de plomb, jusqu’à maintenant.
Pourquoi ? Posons-leur la question. Aux citoyens de déplorer que ce réacteur d’incurie politique enrichie permette de telles zones d’ombre. Rassurez-nous : désormais, tout Français se trouve bel et bien à l’abri, n’est-ce-pas ? Hélas, non ! En Côte d’Or, l’association ACRO pointe du doigt le site nucléaire de Valduc à Salives, l’accusant d’être à l’origine de la présence de tritium dans l’eau du robinet de sept communes environnantes : Valduc rejetterait trois fois plus de tritium que les centrales nucléaires. La direction du site ne nie pas les faits et n’occulte pas non plus l’utilisation de plutonium et de l’uranium pour la fabrication des têtes des missiles nucléaires français : « 4 litres de gaz par an, c’est un gramme de tritium qui ruisselle jusqu’à la nappe phréatique » reconnait d’ailleurs le grand patron du site – qui a balayé d’une main, en août dernier, l’inquiétude qui sourd dans la région. Car, a-t-il conclu, on est là en dessous de la côte d’alerte : « Il n’y a pas de pollution au tritium : les rejets résiduels sont dans les normes de l’OMS ».
Bien, mon Capitaine ! Alors pas de campagne de prévention, pas de rations de pilules d’iode pour ce joli coin de Bourgogne ? Rien pour l’heure… A croire que le nuage de Tchernobyl avec lequel scientifiques, experts et hommes politiques n’ont cessé de nous enfumer pendant une décennie ne sert toujours pas de leçon ! Pas plus que ne nous alerte le drame de la centrale de Fukushima qui ne rejette pas des effluves de cerisiers en fleurs… Nul n’ignore pourtant que la radioactivité ne s’encombre pas de passeport pour franchir les frontières ou faire de la plongée dans les nappes phréatiques …
Marie France Poirier