LA LIGUE A TORT

Ce soir-là, cher lecteur, le stade Gaston-Gérard était cerné par les poulets avant le match amical de l’AS Sodome contre l’Olympic Gomorrhe. L’Association Nationale du Politiquement Correct, le très fermé Cercle des Bien Pensants et le Haut Comité de la Censure Publique avaient sollicité le ban et l’arrière-plan des forces de l’ordre pour bâillonner le moindre supporter récalcitrant, pour supprimer toute banderole subversive et pour bannir toute injure des chants de hooligans. Un dispositif impressionnant avait été déployé pour formater la libre expression et malgré mon billet en règle, je mis plus d’une heure à rejoindre ma place. Je me souvins alors qu’il fut un temps pas si lointain où le fameux « sang impur » de la Marseillaise écorchait les chastes oreilles judéochrétiennes des apothicaires repentis.

Mais quelle ne fut pas ma surprise, après le début de la rencontre, de voir se déployer le français de Chateaubriand au cœur des tribunes comme si les supporters avaient quitté les vestiaires pour l’académie ! Je te livre ici quelques morceaux choisis : « Même si nous sommes adeptes du ballon rond nous prisons fort aussi ceux du cyclisme », « Monsieur l’Arbitre, que vous nous semblez beau ! Sans mentir, vous êtes en passe d’élargir le cercle de vos amis ? »

S’ensuivirent des antiennes reprises en chœur comme la chanson de Colette Renard :

« Je me fais sucer la friandise

Je me fais caresser le gardon

Je me fais empeser la chemise

Je me fais picorer le bonbon ».

Les Gommorrhéens lançaient à la façon du Capitaine Haddock des cocktails de jurons : « Orchidoclastes ! Nodocéphales ! Coprolithes ! » de quoi faire rougir les casse-couille habituels, les têtes de nœud de service et les merdes fossilisées de la Sainte morale.

Je sais bien, cher lecteur, que les sentiments exprimés dans les stades sont abjects, mais c’est une douce illusion de croire qu’on peut empêcher quelqu’un de parler ou de penser, surtout quand depuis plus d’un quart de siècle on a laissé tomber la morale à l’école et l’éducation un peu partout. Les pleutres qui gâchent la fête sportive aujourdhui sont ceux qu’on a laissé insulter et bousculer les professeurs, régner sur des quartiers entiers et cracher sur les pompiers. D’accord avec Sardou, le siècle me dégoûte : réprimez ! Chers censeurs, vous ne serez jamais assez nombreux, ni dans le temps, ni dans l’espace ! Le transfert n’est pas dans le rachat dispendieux d’un brésilien, mais bien dans le déplacement du derby entre les supporters et le pouvoir.

Alceste