Le jaune est demeuré très longtemps la couleur la plus mal aimée de la palette, la couleur de l’infamie et de la tromperie.
Dès le Moyen Age, elle fut synonyme de traîtrise. Pourtant elle était extrêmement positive pendant l’antiquité, grecque et romaine, et, pour les peuples de la Bible qui la valorisaient, cette couleur était signe de chaleur, de lumière et de joie.
S’il n’est pas toujours aisé de dire pourquoi le Moyen-Age central l’a dévalorisé, en dépit des remarquables travaux de l’historien Michel Pastoureau, on peut néanmoins constater un regain d’intérêt au 20e siècle pour la valeur positive d’une couleur qui doit beaucoup à l’invention du « maillot jaune » sur le tour de France par le patron de l’Auto.
Il s’agissait d’une opération publicitaire lancée par le propriétaire du journal sportif phare de l’époque, l’ancêtre de l’Equipe, qui était imprimé sur un papier jaunâtre. Le jaune est resté depuis lors la couleur du leader et l’expression « maillot jaune » s’est étendue à d’autres domaines sportifs et à d’autres langues : en Italie, on l’emploie pour désigner un champion , quand bien même le leader du tour d’Italie porte un maillot rose.
Le premier maillot jaune de l’histoire s’appelait Eugène Christophe. C’est ce que nous apprend ou rappelle Eric Fottorino dans un nouvel ouvrage passionnant et personnel, Mes maillots jaunes, ouvrage tissé de souvenirs et des mille légendes qui ont marqué le destin des gloires durables ou éphémères d’une des épreuves sportives les plus populaires au monde, le Tour de France. Eric Fottorino y laisse libre cours aux souvenirs et émotions qui l’ont accompagné sur la Grande Boucle depuis 50 ans. Quand il évoque les souffrances et la joie d’avoir surmonté l’impossible, les défaites et les succès, les drames et les trahisons, on se croirait sur la selle de Mercks ou d’Anquetil dominateurs, d’Ocana martyr, de Thévenet, du « blaireau » Hinault ou encore de Fignon conquérant.
On souffre de la malchance de l ‘éternel second, Poulidor dont le panache légendaire avait l’accent de la sincérité quand Armstrong nous laissera désemparés entre admiration et illusions perdues. Ce qui fait dire à Fottorino : « Le cas Armstrong laisse entière cette question : sommes-nous les cocus de cette histoire ou avons nous accepté d’être trompés ? ».
Alors que l’édition 2019 du Tour s’apprête à débuter, précipitez-vous sur ce merveilleux ouvrage qui fourmille d’informations, d’anecdotes et de considérations bienvenues et où l’auteur tisse avec talent, érudition et amour, un récit alerte, en danseuse, où se mêlent les scènes héroïques, les triomphes et les drames qui font de ce spectacle sportif l’équivalent des grandes pièces de théâtre cathartiques.
La France insouciante de juillet rêve de roue libre et de caravane publicitaire. Depuis 100 ans, tout juste, ses héros sportifs portent un maillot jaune.
Pierre P. Suter
Mes maillots jaunes
Eric Fottorino
Stock, 19 €.