Les klaxons sont au point mort dans la plupart des centre-villes depuis que la plupart de nos édiles ont pris le taureau par les cornes pour nous faire des îlots indemnes de toute circulation automobile. Dijon est l’une des villes-phares en ce domaine : tout conducteur se voit prier de ranger son bolide chéri dans l’un des quelque dix grands parkings installés à la périphérie de l’hyper-centre ou en sous-sol. Qui est le roi de ces cités revisitées par la culture du tout-piétonnier? Le piéton, pardi ! Les rues devraient être son royaume. Que nenni ! L’homo pédestre est en réalité un Jean sans Terre. Tant , le voilà assailli, bousculé, jeté par ces hordes de Huns des Temps Modernes chevauchant trottinettes électriques ou pas, grimpés sur des segway, jouant de la croupe sur des vélos loués ou en propriété propre, glissant sur des rollers, frisant les 30 km/h sur des skate-boards ou en gyroroues. Pauvre hère que le bipède 2019 qui -membres brisés par ces engins menés rondement et sans aucune civilité, sans la moindre allégeance au code de la route, sans respect aucun – n’est même pas certain de pouvoir se présenter jambes devant… à la voie sans issue de la mort. Puisqu’il est aujourd’hui de bon ton de se référer au Général de Gaule, je n’ai à la bouche qu’un de ses illustres mots : c’est la « chienlit » pour nous, les bipèdes. Bipèdes qui, pour traverser une place, une rue, doivent se fier à l’ouïe et à la vue tant ce manège incessant des vélos et autres engins nous frappe avec la soudaineté d’une attaque Blitzkrieg . Attention, feu rouge ! L’âme pédestre vit là une époque dangereuse. La presse s’est récemment fendue d’un scoop, titrant : «Une trottinette fait un premier mort à Paris.»
Alice en passant en segway de l’autre côté du miroir a brisé ce qui fut la raison première d’être d’un jouet : l’amusement, le divertissement et non une… arme fatale. Les maires soucieux de la sécurité des piétons se heurtent à un vide juridique qui, jusqu’ici, les privent de toute possibilité de mettre des amendes ou d’imposer une réglementation à cet enfer de l’asphalte. Oserait-on imaginer utiliser une corde à sauter pour étrangler ne serait-ce qu’une coccinelle ? Les Vegan, les missi dominici de l’association L214 crieraient au crime. A quand un retour de ces Spidermen de citadins – ainsi motorisés en toute illégalité, parfois même en pocket cross – à l’école de la sagesse péripatéticienne d’un Aristote qui enseignait en marchant avec ses élèves sur l’Agora et dans les passages de l’antique Athènes ?
Concluons sur une note… déjantée : quel « trottiniste » quinquagénaire, émule de motricité électrique, ne ressemble pas, peu ou prou, à un gros crapaud crispé sur guidon ? Quel « segwaylien » peut prétendre à la fière allure d’un d’Artagnan ? Souhaitons aux piétons de Dijon ou d’ailleurs de ne pas avoir les deux pieds dans le même sabot, de montrer les dents. Bref, de tenir à nouveau le haut du pavé.
Marie-France Poirier