Anca Visdei a consacré chez Odile Jacob une passionnante biographie à l’un des artistes majeurs du 20ème siècle : Alberto Giacometti . Il ne manque aucune pièce au somptueux costume qu’elle lui a taillé sur mesure et qui nous vaut de partager son admiration pour un homme à la personnalité tout en contrastes qui n’eut de cesse de travailler à « montrer les choses telles qu’il les voyaient » , soit l’homme qu’il était dans tous les hommes.
De nombreux témoignages privilégiés, des extraits de la correspondance de l’artiste, l’exploration chronologique de son oeuvre nous emmènent dans le sillage d’un homme / artiste (comme on le dirait d’un chamane) à l’esprit angoissé et inquiet qui exprimait dans son oeuvre ses tourments et ses inquiétudes et dont Jean Leymarie écrivait que « ce témoin ébloui qui sculptait pour les morts le regard des vivants, restera la conscience et la vérité de son temps. Il ne séparait pas – c’est dans l’histoire un exemple unique – sa façon de vivre et sa façon de voir ».
On remercie Anca Visdei d’avoir montré avec son beau travail toute la pertinence de cette remarque et d’avoir doublé son admiration pour Alberto d’un hommage à Diego, le frère cadet qui rejoindra son aîné à Paris en 1925 et jouera auprès de lui un rôle essentiel.
On se réjouit de croiser dans cet ouvrage alerte les plus grandes figures des arts et des lettres du siècle écoulé et notamment les surréalistes et leur mouvement dans lequel l’artiste se reconnaissait. Mais le plus émouvant et passionnant récit est celui de son voyage initiatique des débuts en Italie. Venise et Rome, et Naples, Pompéi et Padoue, bien sûr, où il découvre le Tintoret, Cimabue, Giotto et la Toscane surtout, et l’art étrusque dont il parlera toujours avec émotion et dont l’influence, elle n’est pas la seule évidemment, est manifeste.
Les confrontations sont sans doute ce qu’il y a de plus exaltant pour nourrir l’histoire de l’art. Si beaucoup n’ont que peu d’intérêt, d’autres apparaissent en définitive essentielles à qui veut bien regarder sans oeillères…
En 1920 et 1921, puis dans les années 50 et 60, Giacometti découvrit la culture étrusque et il est indéniable que la découverte de L’ombre du soir, cette statuette en bronze à la forme fine et allongée datant de 350 av JC et retrouvée à Volterra vers 1730 , statuette que Jean-Paul Thuillier a qualifié de Mona Lisa des Etrusques, fait écho aux préoccupations de l’artiste au point qu’à 2500 ans d’écart l’artiste anonyme étrusque et Giacometti ont interprété le monde avec des critères voisins. .
Il n’est que se remémorer l’extraordinaire exposition Giacometti et les Etrusques organisée naguère par la Pinacothèque de Paris pour, s’il le fallait encore, s’en convaincre.
Ce n’est pas le moindre mérite du livre d’Anca Visdei que de nous conduire à revisiter ces liens et à nous plonger à nouveau dans le somptueux catalogue édité alors. De l’ introduction admirable de finesse et d’érudition due à Chiara Gatti intitulée Des Etrusques à Giacometti, une même lignée iconographique ancestrale, nous tirons cette observation recueillie par Giuseppe Marchiori : « Giacometti m’expliquait finalement la raison de cette métamorphose des homme en ombres et apparences, sans véritable identité (…) Elle était liée à la perspective, vengeresse de l’orgueil humain, humilié jusqu’à se confondre avec les termites, avec leur vocation minière ».
Pierre P. Suter
Alberto Giacometti, ascèse et passion «
Anca Visdei. Editions Odile Jacob. 300 pages. 23,90 €.