La Ville a engagé 60 millions d’€ dans ce chantier de restauration qui permet d’augmenter considérablement la surface d’exposition des œuvres – plus de 4 200m ² réservés aux collections et aux… visiteurs. Et qui débouche sur un concept nouveau : tableaux, sculptures, armures, vitraux sont offerts au regard du visiteur dans une muséographie repensée et évolutive.
Artisans et chefs d’entreprise – près d’une trentaine de corps de métiers – ont mis leur savoir-faire, leur passion au service de cette dynamique du renouveau, relevant défi après défi, avec une science, une maîtrise dignes des ateliers des maîtres d’œuvre du Temps des Cathédrales. En se remémorant leurs nombreuses visites de travail dans ces bâtiments alors sans murs, à ciel ouvert et semblables à un immense jeu de meccano, Christine Martin, adjointe déléguée à la culture et Sandrine Balan, conservatrice en chef de la direction des Musées sont encore dans une émotion indicible : « Nous avons eu la chance inouïe de vivre des moments forts, intenses… Nous avions la sensation bouleversante de nous inscrire – humblement, certes – dans une continuité historique, culturelle. De quoi nous donner à penser que nous participions à un temps T de l’histoire de l’art en général et de notre ville en particulier ! »
Dijon l’Hebdo : Le Musée des Beaux-arts figure, du fait de la richesse de ses collections, parmi les cinq plus grands de France. Sa rénovation lui concède une place de choix sur l’échiquier national et s’inscrit dans la poursuite d’un dialogue constant, d’une conversation intime avec Dijon, ses toits, ses édifices religieux, son square des Ducs…
Christine Martin : « Jamais personne n’a vu les œuvres telles qu’elles sont présentées aujourd’hui, pas plus que l’ensemble des bâtiments qui constituent le musée. Mais j’insiste sur le fait que celui-ci s’ouvre totalement sur tout le quartier des Arts. A titre d’exemple, la nouvelle accroche de la célèbre tapisserie des Suisses est en correspondance avec notre environnement urbain. C’est, et je reprends l’expression « un dialogue sans cesse instauré entre l’intérieur et l’extérieur ». Ce regard hors les murs, depuis la salle des Gardes où se trouvent les tombeaux des Ducs, en est l’une des illustrations les plus parlantes. Tout a été pensé pour susciter l’envie de franchir le seuil et de pénétrer dans ces lieux qui ont retrouvé un lustre jusqu’ici ignoré – toutes générations précédentes confondues. Nous avons multiplié les ouvertures, fenêtres, portes sur la rue Rameau notamment ; nous avons créé de nouveaux escaliers et ascenseurs, etc. Les visiteurs ont désormais accès à de nouvelles salles d’exposition au rez-de-chaussée donnant sur la place de La Sainte-Chapelle. Au-delà de l’effort budgétaire, nous affichons la volonté politique de mettre la culture, la richesse de notre patrimoine urbain et culturel en pleine lumière. »
Dijon l’Hebdo : En ce qui concerne la refonte de la muséographie, quel en est l’esprit ? Quelles options ont été privilégiées ?
Sandrine Balan : « Nous avons suivi un parcours chronologique à travers les écoles, les courants picturaux et les thématiques. L’aspect inédit, c’est plutôt d’être en mesure désormais de ressortir de nos réserves des œuvres jamais montrées au public. Nous avons également engagé différents restaurateurs pour des tableaux endommagés. Je pense à la salle emblématique des Statues que l’on redécouvre avec un grand bonheur et un œil neuf ! Le plafond Proudhon a été superbement rénové par l’atelier de François Auger-Feige installé à Semur-en-Auxois. L’infrastructure a été revue en grande partie : fenêtres et ouvertures ont été multipliées pour opérer une véritable osmose avec le cœur de notre cité. L’entrée principale se fera d’ailleurs par la Place de la Sainte-Chapelle, qui sera agrémentée d’une grande grille dorée… »
Dijon l’Hebdo : Les expositions temporaires vont donc reprendre pour le plaisir de beaucoup d’entre nous…
Sandrine Balan : Absolument ! Et c’est dans ce domaine précisément que nous initions une nouvelle synergie, en augmentant la rotation de nos expositions, et donc en multipliant leur fréquence. Pour tenir ce rythme, nous nous situons dorénavant dans un état permanent d’anticipation. Il nous faut avoir trois longueurs d’avance, et ce, dès qu’on a procédé à la mise-en-place d’une exposition… Autre élément notoire, une partie des collections Granville – notamment celles qui regroupent les 17ème, 18ème et 19ème siècles – intègreront d’autres salles du musée dédiées aux mêmes époques. Et ce, bien évidemment dans le respect de l’éthique, de la volonté affichée à l’origine par ce couple de collectionneurs extraordinaires que furent Pierre et Kathleen Granville.
Dijon l’Hebdo : La muséographie de la donation Granville s’inscrit-elle à l’instar de l’ensemble des salles du Musée dans un contexte virtuel ?
Christine Martin : « Bien sûr ! Et j’ajoute que le recours à une scénographie interactive digitale, aux tables ou bornes tactiles contribuent à une réalité augmentée par rapport à une perception plus… « traditionnelle » ! L’intérêt de la réalité augmentée, c’est d’offrir à tout visiteur, et de façon ludique, l’opportunité d’approfondir ses connaissances, afin de pénétrer jusqu’aux éléments essentiels du musée. Prenons justement un cheminement proposé – toujours via le virtuel – au sein de la Donation de Pierre et Kathleen Granville. Grâce aux outils technologiques mis à sa disposition, le visiteur ou l’amateur d’art aura tout loisir de puiser dans le fond Granville et de recomposer, en fonction de ses goûts ou de son humeur du jour, une exposition personnalisée. Par ailleurs, le recours au numérique incitera chacun à s’engager dans un dédale virtuel du musée, et tout particulièrement de s’imprégner de l’esprit de la salle des Chapitres qui abrite des souvenirs de la Sainte-Chapelle ainsi que de l’Ordre de la Toison d’or – l’ordre de chevalerie créé par Philippe le Bon en 1430…
Mais, revenons quelques instants à la donation Granville : la néo-magie du numérique s’y inscrit avec audace, nous conduisant jusqu’aux sources d’inspiration des grands peintres cubistes – telles les sculptures africaines ou les statues des Cyclades. Les Granville savaient sonder aussi bien les temps présents que les périodes antérieures. Ce sont eux, qui ont « déniché » quelques-unes des œuvres-phares du musée des Beaux-arts : Le Souffleur de Verre de Georges de la Tour, l’un des quelque trente tableaux du Maître parvenus jusqu’à nous. Et plus près de nous, cinq tableaux de la série des footballeurs de Nicolas de Staël ! »
Dijon l’Hebdo : Les collections du musée sont parmi les plus riches de France. De l’Antiquité à l’art contemporain, de la peinture aux arts décoratifs en passant par les dessins et les sculptures, toutes les formes d’art sont représentées : pas moins de quelque 130 000 œuvres conservées…
Christine Martin : « Les collections médiévales sont sans doute les plus remarquables de France, par leur qualité et leur quantité. L’ouverture de notre Musée « revisité » propose une nouvelle lecture de pans entiers de la peinture, notamment celle du 19ème. Autre temps fort : l’exposition d’œuvres du grand peintre Yan Pei-Ming qui vit à Dijon. Il est célèbre dans le monde entier pour ses portraits, ses portraits-robots saturés de noir, de blanc, de gris, de rouge. Le jour de l’inauguration, le musée lui fera une place toute particulière, à la mesure de son immense talent. »
Propos recueillis par Marie-France Poirier
Pierre et Katleen Granville, « Missi Dominici » de l’art
Il est peu de traits communs entre la Donation Granville du musée des Beaux-Arts de Dijon et le Musée Magnin, excepté que l’on trouve des collectionneurs hors pair à la base des collections. On a tout dit de Maurice Magnin et de sa sœur, mais les jeunes générations ignorent souvent qui étaient les Granville : ils faisaient feu de tout bois quand il s’agissait de tenir allumée leur ardeur de collectionneurs ! La place d’honneur qu’ils avaient réservée – lors de l’installation de leur legs en 1971 – à la boîte aux lettres de leur amie Vieira da Silva en dit long sur l’esprit qui présidait à leurs collections… Ils ont donné au Musée environ 800 œuvres, privilégiant l’Ecole de Paris et le cubisme, les arts africains plutôt que les courants de l’abstraction ou du surréalisme. La richesse de l’intuition du couple d’esthètes est inouïe. Amoureux fous de l’art, ce couple de grands bourgeois, d’esprits éclairés et avant-gardistes, amis d’artistes célèbres et de grands galeristes, se sentaient investis d’une mission sacrée : pour y satisfaire, ils vivaient de façon austère, quasi ascétique. A méditer au regard des fonds d’investissement d’aujourd’hui qui spéculent sur l’art !