Edmonde

Le premier volume des mémoires romancées d’une femme d’exception qui refusa toujours de rédiger les siennes vient de paraître sous la plume alerte et inspirée de Dominique de Saint Pern.

Dès les premiers chapitres, on regrette que le second volume promis se fasse attendre un peu tant la vie d’Edmonde Charles-Roux disparue en janvier 2016 à l’âge de 96 ans fut proprement extraordinaire et tant sa personnalité fut inspirante.

Ce premier opus couvre les années 1938-1944, celles de la seconde guerre mondiale dont elle répétait qu’elle « avait fait de moi ce que je suis », évoquant, d’entretiens en entretiens, le séisme qui mit fin à une enfance et une adolescence dorées et cosmopolites de fille d’ambassadeur élevée à Prague puis à Rome, puis à un mariage qui eut fait d’elle la princesse de Bassiano si son fiancé, Camillo Caetani, n’avait perdu la vie en 1940 sur le front albanais.

Son incroyable destin, elle l’a forgé durant ces années noires, avec intelligence, courage et intrépidité. 

Dominique de Saint Pern sait adroitement et subtilement éviter les écueils que le genre de la biographie romancée dresse devant tout écrivain qui s’y adonne en parvenant à évoquer de manière précise et suggestive à la fois, la personne même d’Edmonde, son engagement dans la résistance à Marseille, sa famille et ses amis, son environnement.

Cette « irrégulière » qui fut à l’aise dans tous les milieux aida Maurice Druon à écrire Les rois maudits, fréquenta Louis Aragon et épousa en troisième noce Gaston Defferre, fut un écrivain important du siècle écoulé dont nombre d’ouvrages, de romans, et de biographies nous donnent à « fréquenter » des destins aussi extravagants ou enchanteurs, c’est selon, que le sien. On pense à celui d’Isabelle Eberhardt.

On admire cette femme indomptable, libre, talentueuse qui connut tôt les affres de la perte des êtres aimés et confiait que « l’absence, c’est vivre avec un couteau dans le coeur » mais qui, opiniâtre et hédoniste, vivait « les yeux ouverts sur l’avenir, sur le grand large, prête à danser la ronde main dans la main avec d’autres exilés du soleil, d’autres grands blessés, pour leur communiquer sa force vitale et se laisser envahir par leur appétit de vivre ».

Edmonde Charles-Roux : une très grande dame qui méritait bien ce beau roman.

Pierre P. Suter

Edmonde, par Dominique de Saint Pern.

Chez Stock. 21,50 €