Compañeros

(La Noche de 12 Años). Biopic uruguayen, espagnol, français et argentin d’Alvaro Brechner avec Antonio de la Torre, Chino Darin, Alfonso Tort.

1973, l’Uruguay bascule en pleine dictature. Trois opposants politiques sont secrètement emprisonnés par le nouveau pouvoir militaire. Jetés dans de petites cellules, on leur interdit de parler, de voir, de manger ou de dormir. Au fur et à mesure que leurs corps et leurs esprits sont poussés aux limites du supportable, les trois otages mènent une lutte existentielle pour échapper à une terrible réalité qui les condamne à la folie. Le film raconte les douze années d’emprisonnement vécues par trois des figures les plus célèbres de l’Uruguay contemporaine : l’écrivain Mauricio Rosencof, le sénateur Eleuterio Fernández Huidobro et l’ancien président uruguayen José « Pepe » Mujica.

Comment résister à cette Nuit de douze ans, titre original de cet hymne au courage réalisé incomparablement par Alvaro Brechner ? Pendant plus de deux heures, le cinéaste uruguayen rend compte du temps qui passe avec une puissance rare. La beauté de ce film terrifiant, où pourtant l’espoir ne meurt jamais, réside dans la justesse de l’interprétation, la volonté d’abandonner tout pathos, et même de rejeter une certaine forme de manichéisme. Par la force des images dures, insoutenables d’emprisonnement ou d’assaut, celles plus douces des images oniriques qui permettent de s’évader par la pensée, Compañeros se taille une place à part dans ce cinéma de genre, représenté souvent par Costa-Gavras. Par l’intelligence d’un montage habile, par le recours inattendu à l’humour ou à l’amour, par la délicatesse d’une musique, d’un chant ou d’un visage, Compañeros s’inscrit dans l’histoire des films de lutte qui compteront de façon singulière et originale.

La performance d’Antonio de la Torre, de Chino Darín et d’Alfonso Tort, tous amaigris pour incarner la réclusion, l’isolement et la survie, est mémorable. Sans oublier le plaisir inégalable de retrouver l’immense actrice argentine Soledad Villamil, découverte avec L’ours rouge et Dans ses yeux. Le récit intimiste marque des points, marque de poings dans les murs, les cris deviennent des murmures et l’humain triomphe de l’oppression absurde de régimes dictatoriaux.

Human, c’est aussi le nom de la réflexion cinématographique sur le sens de l’existence, réalisé en 2015 par Yann Arthus-Bertrand. Dans cette œuvre controversée (« ce qui compte, c’est moins l’intelligence des situations que la grand-messe des larmes et des sourires » écrivait Libération), José « Pepe » Mujica, alors président de l’Uruguay, témoigne :

« Je m’appelle José Mujica. J’ai été paysan pour gagner ma vie, dans un premier temps. Puis je me suis engagé dans la lutte pour transformer et améliorer la vie de ma société. Aujourd’hui je suis président. Et demain comme tout le monde, je ne serai qu’un tas d’asticots, et je disparaitrai. J’ai connu des déconvenues, plusieurs blessures, quelques années de prison. Enfin … La routine pour quiconque s’emploie à changer le monde. Je suis toujours là, par miracle. Et par-dessus-tout, j’aime la vie.

J’ai passé plus de dix ans seul dans un cachot. J’ai eu le temps … J’ai passé sept ans sans ouvrir un livre. Ça m’a laissé le temps de réfléchir. Et voilà ce que j’ai découvert. Soit on est heureux avec peu de choses, sans trop s’encombrer, car le bonheur on l’a en soi, soit on n’arrive à rien. Je ne fais pas l’apologie de la pauvreté, mais l’apologie de la sobriété.

On peut toujours se relever. Il vaut toujours la peine de repartir de zéro, mille et une fois, aussi longtemps qu’on est en vie. Voilà le message essentiel de la vie. En résumé les seuls perdants sont ceux qui cessent de se battre. Cesser de se battre, c’est cesser de rêver. »

Une dernière phrase qui aujourd’hui plus que jamais fait sens.

Raphaël Moretto