2019 : année de déraison

Non, mais quelle drôle d’époque vit-on ! Deux informations ont récemment fait la « une »: un quart de nos compatriotes lèvent un peu trop le coude, et l’ère du tout-gilet jaune s’est accompagnée de la dégradation des radars installés dans l’hexagone. Les conséquences sont dramatiques : on déplore depuis février un nombre croissant de conducteurs, passagers ou piétons décédés – plus de 320 – sans compter les personnes blessées avec ou non un handicap à vie. Ces chiffres, qui traduisent l’inconduite des automobilistes sous l’emprise d’excès de vitesse ou d’alcoolémie, ne semblent pas scandaliser grand monde. Pire, les politiques provoquent un levier de boucliers, dès qu’ils prennent des mesures de rétorsion : ce fléau fait bel et bien partie du paysage routier, et il est entré dans nos mentalités au titre d’une fatalité « made in France ». Voilà, qui empêche toute prise de conscience sérieuse de l’opinion publique. Paradoxalement, le moindre blessé au cours d’une manif ne manquera jamais de soulever un tollé général et de faire les gros titres. Où est la cohérence ?

Même constat avec les enquêtes ou les sondages qui concluent tous à un effritement du ciment social, à une solitude des citadins, des personnes âgées en milieu rural. Les études médicales ou sociologiques insistent sur la nécessité vitale pour tout un chacun d’avoir des contacts journaliers avec ses semblables, fussent-ils réduits à un banal échange sur la météo chez le boulanger, le buraliste ou le petit épicier – tous en voie d’extinction.

Bonjour le e-commerce ! Des distributeurs géants de l’alimentation, dont Carrefour, se mettent progressivement à l’école du merchandising chinois, qui consiste à installer dans chaque hyper des bornes pour « lire » les achats de la clientèle dotée de smartphones et d’autres bidules numériques. Il est même envisagé d’installer des appareils de reconnaissance faciale qui aboutiront au paiement desdits achats effectués. Résultats des… courses : caissiers et caissières n’auront plus qu’à emprunter le chemin de pôle-emploi.

La consommation de demain flirtera, au mieux, avec un tête-à-tête métaphysique avec une botte de carottes ou, au pire, avec un découvert à la banque bien évidemment en ligne. Méditons sur l’enfermement sur soi qui nous est concocté au nom d’une rentabilité économique exponentielle ! George Orwell n’avait-il pas plus ou moins pressenti la chose dans son ouvrage fondateur 1984  qui marque la fin du monde ?

Toujours au chapitre de mes indignations suscitées par nos comportements « hirsutes », un mot sur ce qui vient d’avoir lieu à la Sorbonne, ou plutôt de ne pas avoir lieu du tout. Jugez-en : le metteur en scène, Philippe Brunet, devait présenter Les Suppliantes d’Eschyle. La pièce met en scène des Grecs d’Argos, supposés blancs, et des Danaïdes, venues d’Égypte, à la peau noire. Eschyle a attendu 2019 pour se faire censurer, victime de la bêtise et de l’ignorance des consciences estudiantines ! Les masques noirs, portés par la troupe d’acteurs blancs, étaient perçus comme du racisme ! Or, on touche à la lâcheté d’une partie du corps professoral – censé pourtant posséder un savoir supérieur aux étudiants. Dans la Grèce et la Rome antiques, les comédiens jouaient en effet, le visage recouvert d’un masque en bois dont la « vertu » était double : faire porter la voix jusqu’aux derniers cercles des spectateurs et hisser les acteurs au rang de héros, au sens originel et mythique du terme. A l’époque, le théâtre avait pour fonction cathartique de concilier les dieux et les hommes ! C’est ainsi que Melpomène, muse de la tragédie, était toujours représentée avec un masque, comme en témoignent les mosaïques parvenues jusqu’à nous…

Enfin, et j’en termine avec mon lamento : que dire de la conduite contradictoire de notre Jupiter à nous qui laisse s’échapper deux membres de son gouvernement – Benjamin Griveaux et Mounir Mahjoubi – pour leur donner tout loisir de briguer la mairie de Paris. N’eût-il pas été plus logique, plus responsable de les garder dans le staff de l’exécutif en vue d’œuvrer pour les Européennes ?

Hourrah, ce printemps met les têtes à l’envers ! Et… « dansons sous la pluie »…

Marie-France Poirier