Europe : la fête des voisins aura-t-elle lieu ?

L’Europe est-elle affaire trop sérieuse pour qu’on la laisse aux mains des politiques ? La question est plus que jamais d’actualité avec un état néerlandais qui rachète en Bourse 14 % du capital d’Air France-KLM, sans prévenir ni l’Elysée ni le conseil d’administration. Entre partenaires de l’Union, c’est très inamical et… efficace : voilà le gouvernement de La Haye à parité avec l’Etat français, quitte à fragiliser tout le groupe aéronautique.

Autre attitude tout aussi cavalière et déloyale, mais du côté de la botte italienne : sa secrétaire d’Etat à la Culture remet en cause le prêt d’œuvres de Léonard de Vinci à la France, au risque de faire capoter la grande rétrospective du Louvre à l’occasion des 500 ans de la mort de Léonard de Vinci au château d’Ambroise.

Enfin, troisième uppercut : le Luxembourg, l’Irlande et la Hollande – encore elle – opposent à la France un refus brutal à la demande de fiscaliser les GAFA, renvoyant le Président français dans les cordes. En effet, faire bande à part est illusoire, alors qu’il eût fallu faire tout un front européen pour être efficace. En un mot comme en cent, Emmanuel Macron paie pour s’être érigé en caporal de l’Europe, et sa tribune parue dans la presse internationale accentue l’outrecuidance de son attitude.

Les « 27 », à trois mois des élections, font une grosse fièvre et fredonnent les ritournelles du slameur Grand Corps Malade… Ce serait risible si ça n’était tragique. D’autant que, fort de son « expérience européenne » (sic), François Hollande en remet une couche et entame un cycle de conférences destinées à des lycéens, plaidant en faveur d’une « Europe plus réduite pour avancer plus vite. » Oui, mais réduite à quoi ? A bien regarder, ce sont moins les nouveaux venus que les membres fondateurs et historiques de l’Europe qui se tirent dans les pattes, sur tous les plans : politique agricole commune, montée du nationalisme ou divergences des politiques fiscales et sociales. Quant à la crise migratoire, autre sujet de discorde, ce sont en effet l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la France ou la Grande Bretagne (la Manche engagée dans le Brexit) qui se renvoient la balle. Les chefs d’Etat concernés n’ont-ils pas à redouter que leurs électeurs sifflent, aux prochaines élections, la fin de la récréation de ce quatuor de sales gosses ?

On avait cru jusqu’ici que la culture constituait l’un des dénominateurs communs de l’Union Européenne. Il fut un temps reculé où l’idée d’Europe était aux mains d’artistes, de philosophes, de musiciens ou d’esprits scientifiques, et fonctionnait plutôt bien. Et ce, dès le 15ème siècle. A une époque où Gutenberg, avec sa découverte de l’imprimerie, fut un fantastique propulseur d’écrits… Les savants, les humanistes de la Renaissance au 16ème , puis les esprits du siècle des Lumières ont continué à œuvrer à un continent de progrès, constituant le noyau d’un immense cercle de pensée, de liberté, d’audace ou de créativité. Réfléchissons à ce que la culture et la civilisation européennes doivent à Spinoza, Locke, Bayle et Newton etc. La primauté de l’esprit scientifique sur la Providence de ces précurseurs européens – la révolution newtonienne en est l’illustration la plus marquante – amorça une réflexion politique sur l’idée inédite de démocratie d’état…

En ces temps passés, le nom de Vinci ne désignait pas l’une des premières sociétés d’autoroutes au monde ! Vinci, c’était Léonardo Vinci, ce démiurge européen qui vécut entre Toscane et France, trouvant un havre de paix à la cour du roi François 1er. Toute l’Europe actuelle devrait se prévaloir de la Joconde, de l’Homme de Vitruve ou du Codex – un traité à la fois d’observations sur le vol des oiseaux et d’ingénierie émaillé de dessins de machines volantes. Ce « merveilleux fou volant dans ses drôles de machines » de Leonardo dessinait un ciel à l’Europe, en s’inspirant du système solaire découvert par ses presque contemporains, Copernic et Galilée. Aujourd’hui, l’absence d’entente des « 27 » bousille cet héritage, au profit de la Chine, de la Russie, des USA. Et, quand des états européens « amis » se croisent dans les cieux d’Air-France KLM ou d’un Airbius A 380 aujourd’hui sur le déclin, c’est toute l’Union qui se brise les ailes. Les 27 états-membres entrés en zone de turbulence ne paraissent pas enclins à fêter la fête des voisins à la mi-mai !

Marie-France Poirier