Vents de violence

Vous avez aimé mai 1968 ? Vous allez abhorrer l’hiver 2019. La violence pend aux arbres des villes et aux âmes des citoyens libres et tolérants. Les Gilets Jaunes étaient bien partis pour des épisodes de Plus belle, la Vieou des brèves de comptoir sympathiques et même – osons l’adjectif – un chouïa salutaires dans une France labellisée « Ena » peu au fait d’une souffrance sociale. Exit les débuts de cette fête des voisins sur les ronds-points…

Hélas, trois fois hélas ! Les Gilets Jaunes sont devenus un mouvement kaléidoscopique, passant de l’état « capteur de rêves » à celui aujourd’hui de gobe-mouche peu ragoutant. J’en veux pour preuve les dernières attaques, insultes antisémites dont le philosophe et académicien Alain Finkielkraut a été l’objet : il a été injurié, traité de « sale juif » en marge de la 14ème manifestation des Gilets Jaunes dans le quartier de Montparnasse à Paris. Objet d’une haine qui tire son venin aussi bien de l’extrême-droite et de l’extrême-gauche que d’une montée en puissance des intégrismes catholique ou musulman.

Alain Finkielkraut est l’arbre qui cache la Forêt noire : plus aucun Français de confession juive ne peut vivre en paix dans certaines banlieues parisiennes. On ne dénombre pas moins d’une dizaine de meurtres commis contre la communauté, depuis ces dernières années. Les forces de l’ordre, elles-mêmes, se voient régulièrement prises à partie : récemment, ce fut le cas d’un fourgon de CRS ainsi que d’une voiture de patrouille à Lyon. Et la traduction de quelques figures emblématiques des Gilets Jaunes en justice n’est pas de nature à endiguer la violence ou le malaise qui a saisi villes et zones rurales, tant qu’une stratégie politique ne sera pas très vite élaborée et appliquée. Il est légitime de souhaiter qu’il ressortira une synthèse et un plan d’application des débats animés par Emmanuel Macron, au cours d’un Tour de France qui se déroule sous le signe du jaune – hélas, pas celui du maillot mythique !

Dénonçons une violence encore et partout sur les réseaux sociaux, sans que le moindre esprit critique ni le moindre sens civique ne s’exercent sur… toutes les nuances de jaune ou de noir des casseurs. Réfléchissons également au vandalisme dont sont l’objet les églises – récemment Notre-Dame à Dijon –  et qui ne provoque qu’une sorte d’indifférence générale de fort mauvais augure.

Quant à l’économie libérale avancée organisée par les financiers rompus aux GAFA, elle s’exerce à l’encontre d’une classe d’humains-robots à qui la seule liberté concédée se résumerait au choix entre deux marques de tablettes numériques ou bien entre une alimentation bio onéreuse et une autre – plus abordable – dont on nous donne à croire qu’elle serait nuisible à la santé. Jouer ainsi sur la peur des gens constitue une grave violence… A ce sujet, deux remarques en passant : pourquoi les mouvements des Gilets Jaunes qui, à l’origine, prônaient une France des terroirs, favorisent-ils à coup de barrages ou de manifs, les achats sur Amazone au détriment du commerce de détail ou de l’activité des Halles de notre agglomération? Seconde interrogation : pourquoi les jeunes générations – dont on nous dit qu’elles sont préoccupées de l’environnement – ne s’interrogent-elles pas sur leur addiction aux smartphones ultra-compacts dernière génération, dont la fabrication tout comme le recyclage aboutissent à violenter la planète ! Ramasser les papiers, opérer le tri des ordures, c’est louable. Est-ce suffisant quand le Paris-Dakar, les courses de F1, le tourisme de masse accentuent le réchauffement du climat. Le grand paléontologue dijonnais Jean Chaline n’hésite pas à de désigner cette violence faite quotidiennement à notre terre de « planéticide » (1).

Et pendant que j’y suis, je terminerai sur cette double question : un univers bourré de bornes tactiles traduit-il le renouveau d’un humanisme tant espéré ? Le langage abscons et virtuel de la finance, des services bancaires, des administrations d’Etat, la langue de bois du monde politique, ne sont-ils pas la plus grande des violences à l’égard d’une population considérée comme « basique, beauf et bébête » ? Violence encore et toujours à l’égard du genre humain, quand on songe que dans les dossiers des élèves, parent N°1 et parent N°2 remplacent désormais les traditionnels vocables « père » et « mère » – jugés politiquement incorrects dans une société du mariage pour tous. Croyons-nous promulguer une 6ème République de Bisounours grâce à ce type de vocabulaire aussi vide de sens qu’unisexe ? Qui comprendra que la violence peut faire son lit de toute idéologie, de toute niaiserie ?

(1) : « Histoire de la Barbarie » de Jean Chaline paru aux Editions Ellipses.

Marie-France Poirier