Drame américano-mexicain d’Alfonso Cuarón, avec Marina de Tavira, Yalitza Aparicio, Diego Cortina Autrey (2h15).
Lundi 27 février à 5h07 (heure française), Alfonso Cuaron remporte le quatre-vingt onzième Oscar dumeilleur réalisateur, pour ROMA, troisième de la soirée pour cette fresque graphique admirable, meilleur film en langue étrangère qui remporte également le prix de la meilleure photographie pour sa peinture sublime, tournée en 65 millimètres et en noir et blanc, des femmes d’un quartier de Mexico au début des années soixante-dix. Une récompense amplement méritée pour une œuvre qui réinvente notre façon de regarder le monde, et ce dès le premier plan du film.
Le générique s’inscrit sur le carrelage de la véranda de la maison, métamorphosé en une mer agitée par le travail de Cléo (Yalitza Aparicio), femme de ménage et nourrice au service d’une famille aisée qu’elle chérit et protège, dans le quartier de Roma, celui de l’enfance du cinéaste. Alfonso Cuarón s’inspire de sa propre enfance pou faire revivre cet endroit unique si cher à son cœur par son style incroyable et irremplaçable.
Le film, distribué par Netflix, pose à nouveau la question chère à André Bazin, puis à François Truffaut dans les années cinquante : « Qu’est-ce qu’une œuvre de cinéma ? ». Si à l’époque une comparaison légitime pouvait être faite avec la littérature, dont les scénarios étaient souvent tirés, aujourd’hui le septième art est en concurrence directe avec les séries, les jeux vidéo ou la réalité virtuelle. Est-ce que le fait de regarder un film en salle fait partie de la singularité du cinéma ? Une œuvre ne devrait-elle pas être appréciée au regard de ses qualités intrinsèques, sa mise en scène au sens large (ce que nous nous efforçons de faire dans cette chronique) plutôt qu’à la façon dont elle va être diffusée ? Si les longs-métrages réalisés pour Netflix sont récompensés dans les plus grandes cérémonies et festivals de cinéma du monde, c’est certainement parce que la plateforme de streaming produit d’excellents films. C’est le cas de ROMA, Lion d’or à Venise et lauréats de trois Oscars des plus importants.
Voici cinq des raisons principales pour lesquelles il ne faut manquer ROMA sous aucun prétexte :
❶ROMA est une expérience de cinéma, une œuvre très personnelle du réalisateur de GRAVITY dans une mise en scène virtuose qui n’apparait jamais comme un vain stratagème, mais au contraire un dispositif remarquable au service des craintes et des agitations des personnages dans un monde hostile en révolte. Les images d’une beauté à couper le souffle sont inoubliables et transcendent des héroïnes à la dérive qui sortiront grandies de ce flot de drames humains, évènements historiques ou oppositions naturelles (la mer).
❷Le film est aussi une œuvre féministe, portrait de deux femmes abandonnées par des hommes démissionnaires ou violents, là où « Elles » sont capables d’affirmer leur détermination et leur autonomie : « Peu importe ce qu’ils te disent, nous les femmes sommes toujours seules. »
❸Si le cinéma est bien une affaire de regards, ROMA est également une expérience sensorielle unique, un dérèglement de tous les sens qui passe autant par le son que par l’image. Les bruits hors-champ activent notre imagination, révélant leur pouvoir immersif dans une aventure humaine peu commune, un voyage dans un passé lointain, culturellement … et pour nous aussi géographiquement.
❹Par son montage caractéristique, son rythme original, celui de ses longs plans séquences, ROMA entraîne le spectateur dans une odyssée de 135 minutes dont il ne peut ressortir indemne. C’est la toute la force d’une œuvre qui prend le temps d’exister devant nos yeux, et que l’on a envie de revoir sitôt le film terminé.
❺Pour la sa réflexion si pertinente sur le sens et la valeur de la vie, dans l’engagement ou le désengagement, le courage ou la lâcheté : sauver une vie, en perdre une autre, le film joue de cette opposition avec intelligence et sensibilité.
Hommage au courage des femmes, à la beauté du monde et au septième art, ROMA, non film de (salles de) cinéma mais œuvre magistrale, méritait bien son triomphe aux Oscars cette nuit-là.
Raphaël Moretto