Le Bel Canto ou le blues du spaghetti

Pax deorum pour tous les amoureux des atmosphères à l’Italienne – façades ocre des palais grandioses, jardins luxuriants du Lac Majeur, Art d’aimer d’Ovide, ou encore films de Fellini ou d’Ettore Scola, musique de Nino Rota, bouquins de César Pavese, masques et bergamasques de la Place Saint-Marc… La brouille Elysée / Quirinal, c’est fini : de retour à Rome, l’ambassadeur de France a remis au président italien une invitation pour une visite d’Etat, d’ici à quelques mois. Exit cette crise conjugale : on est tout de même marié à l’Italie depuis 2000 ans, grâce à Jules César.

Un « Divorce à l’italienne » n’était tout simplement pas envisageable, d’autant que l’acteur Marcello Mastroianni n’est plus dans le coup, depuis que la mort l’a envoyé se refaire un nom au générique de l’Eternité. Il était difficile d’imaginer pour nous, Français de droite, de gauche, du centre ou des ronds-points de vivre sans expresso Lavazza, sans mozzarella, sans parmesan, sans jambon de Parme, sans Prosciutto, sans Bruschetta, sans pizza, sans sauce bolognaise, sans spaghetti, sans Kinder Bueno … Et sans quoi d’autre encore ? Eh bien, sans Nutella ! Là, c’eût été invivable pour tout moufflet gaulois addict à ses tartines pluriquotidiennes. Au passage, tout nous dit que notre ambassadeur a pu renouer avec Di Miao, après lui avoir offert les « chocolats de Monsieur l’Ambassadeur », les fameuses bouchées Ferrero Rocher précisément produits par la toute sérénissime marque Nutella. Sans oublier que notre France laïque, séduite par son charisme, ne saurait se passer du Pape François, pas tout à fait italien certes… Au passage, soulignons qu’on déplore que son nonce à Paris se soit permis en plein fief Hidalgo-socialiste de caresser le fessier d’un employé de l’Hôtel de ville, le confondant avec un nu de Botticelli ou les saints de Fra Angelico.

Revenons sur ce qui a failli être un champ de bataille et qui aurait pu être fatal sur le plan dijonnais. Imaginons, une minute – une seule ! – que Macron et ses condottieres aient eu à déposer les armes aux pieds de Di Miao et consorts; envisageons dans la foulée les dommages collatéraux qui s’en fussent suivis pour notre cité des Ducs. Il eût fallu que le Musée des Beaux-Arts ainsi que le Musée Magnin rendent illico les œuvres des primitifs italiens. Il eût fallu que plusieurs dizaines d’hôtels particuliers perdent – au sens littéral – la face en se délaissant de leurs belles sculptures à l’italienne : quid alors des magnifiques façades des hôtels Legouz de Gerland, Voguë et tutti quanti ? Quid de Hughes Sambin, de Jean Dubois, nos grands architectes de l’époque qui n’ont cessé de s’inspirer de la belle et éblouissante Italie.

Quid enfin de notre Dijonnais de Rameau, qui a tiré de son voyage en Italie, la trame de trois cantates : Médée, L’Absence, L’Impatience ? Quid de nous, et de l’église Sainte-Anne sans sa coupole et son architecture baroque à l’italienne ? Plus tragique : quid de nos cadres dynamiques sans Gucci ou sans Armani ? On aurait pu dire : Ciao à la Dolce Vita…

Tout va donc « bene » ! Dijon peut garder son théâtre à l’Italienne. Et n’aura pas à débaptiser l’avenue Garibaldi !

Marie-France Poirier