L’association Dijon Congrexpo a été reconduite pour exploiter le Palais des Congrès et le Parc des Expositions de Dijon pour les 4 prochaines années. Une délégation qui a fini par se signer au terme de discussions difficiles pour ne pas dire houleuses sur lesquelles revient son président Jean Battault.
Dijon l’Hebdo : La délégation de service public (DSP) pour l’exploitation du Palais des Congrès et du Parc des Expositions de Dijon vous a été confiée. Ce n’est pas une surprise car vous étiez le seul candidat. Les négociations ont été particulièrement âpres, frôlant même le point de rupture. Comment expliquez-vous cette fièvre qui est soudainement montée entre la ville et l’association Dijon Congrexpo… entre deux vieux partenaires serait-on tenté de dire ?
Jean Battault : « Je voudrais d’abord m’attarder sur les conditions de l’appel d’offre qui courraient sur une durée de 4 ans. 4 ans… Ca ne correspond pas à notre rythme de fonctionnement. Il faut 2 à 3 ans pour obtenir un congrès.
Ensuite, l’appel d’offre stipule un droit d’entrée de 1,4 million d’euros. Cela veut dire concrètement 350 000 € d’amortissement par an. Et nous avons réalisé un résultat net moyen sur les 8 dernières années de 223 000 €… Accepter de telles conditions, c’est être condamné à une gestion ruineuse. On comprend pourquoi il n’y a pas eu d’autres prétendants à cette DSP. Dès lors, nous étions « fléchés » comme les seuls candidats. »
DLH : Et vous avez accepté ?
J. B : « Oui parce qu’on donne 1,4 million d’€ et, dans le même temps, on reçoit 1,4 million d’€.
Je m’explique : au terme de la précédente convention, la reprise de la cession de nos immobilisations à la valeur nette comptable devait nous être remboursée. Elle s’élève à 1,4 million d’€, c’est à dire le même montant que le droit d’entrée. On joue donc à somme nulle et il n’y a aucune incidence sur la trésorerie. »
DLH : A quoi est liée cette cession immobilisation ?
J. B : « Elle est liée aux travaux qui ont été faits quand la ligne de tram a été construite à proximité de la Foire. Il a fallu créer une entrée spécifique et faire des travaux d’isolation dans le hall 2. Budget : 4 millions. Le conseil départemental, à l’époque, a versé 2 millions. A charge pour nous de financer les 2 autres sachant que nous sommes délégataire et que, par nature, ce sont des frais qui sont à la charge du déléguant. J’ai, néanmoins, accepté le principe et j’ai contracté un emprunt. Pour nous, c’est la double peine car il aura fallu financer quelque chose qui ne nous concernait pas et, en plus, on nous limite dans l’amortissement comptable et fiscal. J’imagine que la mairie a d’autres ambitions au terme de cette présente convention où finalement, elle ne nous devra plus rien. Et ces manœuvres, je préfère ne pas les qualifier ».
DLH : Vous n’avez pas hésité à utiliser des mots comme « complot ». N’est-ce pas tout de même un peu fort ?
J. B : « C’est le terme adapté. C’est une stratégie très claire de la part de la mairie. Nous avons été la cible d’une campagne de dénigrement. « La foire pue… Florissimo est un gâchis écologique… ». Mensongers également ces propos sur la baisse de la fréquentation de la Foire. Si je reprends les chiffres depuis 2015, à 100 personnes près, on s’aperçoit que la Foire a conservé son visitorat. J’ajouterai qu’on a reconduit, l’an passé, les 160 000 visiteurs avec un jour de moins… »
DLH : Dans ce contexte, vous n’avez pas été tenté de renoncer et de laisser la ville sans délégataire ?
J. B : « On a bien évidemment été tenté de le faire car tout nous poussait au renoncement. Nous sommes arrivés à un accord in-extremis en déclinant une série d’exigences de la mairie qui étaient tout à fait déséquilibrées. Nous avons signé une convention que j’estime fragile parce que contraire au droit. Nous avons signé pour assurer la pérennité de l’association Dijon Congrexpo dans l’attente de temps meilleurs et d’une prise de conscience du déléguant. N’oublions pas que nous sommes les seuls en France à avoir des activités qui sont profitables. N’oublions pas que nous versons une redevance, que nous entretenons à notre charge un bâtiment municipal, que nous participons très largement à la renommée et au rayonnement de Dijon, de la Métropole, du département et de la grande région. »
DLH : Finalement, ne serait-ce pas vos importantes réserves financières qui ont « pollué » le débat ?
J. B : « Nos réserves financières ne sont pas importantes. Nous avons 7 millions d’€ de capitaux propres desquels on doit retirer les 1,4 million d’emprunt pour arriver à la seule somme qui compte : 5,6 millions de capitaux permanents. Nous avons un besoin de fond de roulement (BFR) de 3 millions. Ce qui fait donc un différentiel de 1,6 million. Soyons sérieux : nous ne possédons pas de stock, pas d’immobilisation, pas de valeur incorporelle d’actif… Cet argent sert à garantir nos partenaires banquiers, nos sous-traitants, nos fournisseurs, notre personnel. Nous sommes même, par rapport à notre chiffre d’affaires et nos engagements, en sous capitalisation.
Nous sommes une association à but non lucratif ce qui ne nous interdit pas de gagner de l’argent. Cet argent, il n’est pas distribué. De façon systématique, tous nos résultats sont remontés en haut de bilan. Cet argent n’est pas le fruit d’un enrichissement sans cause. c’est le fruit de notre bonne gestion, de notre bonne exploitation dont on devrait plutôt se réjouir que de nous l’opposer. »
DLH : A vous écouter, on a l’impression que vous êtes replongé dans la lutte des classes telle qu’elle se pratiquait il y a plusieurs décennies ?
J. B : « Il nous faut faire face à une vision doctrinaire de nos activités. La gestion d’une entreprise ne fait pas partie de la culture municipale qui relève, elle, d’un style plutôt stalinien. Celui du « Gosplan », de l’économie dirigée. On sait bien que ne n’est pas efficace.
En terme d’exploitation, la rentabilité est le thermomètre de l’efficience de l’organisation. Nos résultats financiers, je le répète, ne sont pas distribués. Personne n’est lésé. Nous gérons à nos risques et périls dans un univers concurrentiel avec les mêmes obligations déclaratives en matière sociale et fiscale qu’une entreprise. Quant à la composition de notre AG, j’assume. Je préfère des chefs d’entreprises qui sont pertinents en matière de gestion et qui disposent de réseaux mobilisables pour nos événements plutôt que des bobos, des intermittents du spectacle ou encore desmélenchonnistes. »
DLH : Si d’aventure la gestion venait à être défectueuse, peut-on considérer que c’est le propriétaire des murs, en l’occurrence la mairie, qui viendrait à votre secours ?
J. B : « Il est prévu dans les textes que si nous sommes déficitaires, la mairie doit venir en complément de passif. Je vous rassure, notre gestion n’a pas vocation à nous rendre déficitaire. Les coûts d’exploitation prévisionnels que m’impose la mairie, et qui sont déficitaires, m’autorise à mettre en place un plan social. Je n’ai pas l’intention de le faire et je relève le gant. Je ferai tout pour maintenir nos résultats. »
DLH : 4 ans, ce sera donc la durée de la délégation. 4 ans, ça va être court mais cela peut aussi être long au regard de cette relation qui est devenue délétère entre la ville et vous ?
J. B : « Je ne désespère pas que la ville prenne conscience de l’enjeu et de la chance qu’elle a de nous avoir. Je le répète, cette maison ne coûte pas cher dans le sens où elle a un personnel réduit sans aucune redondance dans les postes. Toute la partie stratégique, celle qui fixe les objectifs -c’est à dire l’assemblée générale, le conseil d’administration, le comité mais aussi l’amicale des cuisiniers, la fédération de la chasse, le département de la Côte-d’Or qui utilisent la Foire comme un podium- est complètement bénévole comme moi je le suis. J’ajoute que nous sommes les seuls capables de mobiliser de telles énergies. Ce ne sont pas les services municipaux qui pourraient en faire autant.
Je rapproche notre situation à celle des tribunaux de commerce où j’ai une expérience de 14 années de judicature. Si la Chancellerie devait remplacer les juges consulaires par des magistrats professionnels, elle ne pourrait pas soutenir le budget. »
DLH : Ce contexte un peu particulier ne doit pas masquer la belle activité de congrès qui se dessine pour l’année qui vient. Une activité que vous avez rendue profitable à la différence de la quasi-totalité des palais des congrès qui, en France, perdent de l’argent… Comment faites-vous pour réussir là où les autres n’y arrivent pas ?
J. B : « Justement, par une gestion éclairée avec une extrême vigilance sur les coûtants et une action commerciale résolue. Je répète que cette maison est gérée par des chefs d’entreprise selon des méthodes de chefs d’entreprise.
Dijon ne ressemble ni à Cannes, ni à Megève et encore moins à Paris. Et pourtant nous attirons des congrès nationaux. On est quasiment à saturation de nos équipements. Cela tient à notre savoir faire. C’est bien la preuve que notre système marche même si on tente de nous expliquer qu’il est anachronique. Ce n’est surtout pas un modèle économique dépassé. »
DLH : Ce début d’année marque un fait important, c’est l’absence d’Yves Bruneau, le directeur général, qui a fait valoir ses droits à la retraite. N’est-ce pas la fin de la « dream team » ?
J. B : « Pas exactement car la « dream team », je l’ai constituée avec Yves Bruneau. L’encadrement de cette maison et son personnel en général ont un niveau de professionnalisme jamais atteint. Pour moi, c’est d’autant plus désastreux que de vouloir détruire un outil pareil, qui n’a jamais été aussi affûté. La « dream team », elle est là. J’en veux pour preuve la charge de congrès que nous avons cette année. »
DLH : Et pour succéder à Yves Bruneau vous avez fait le choix d’une solution en interne ?
J. B : « Je suis extrêmement reconnaissant pour la qualité du travail effectué par Yves Bruneau après plus de 18 années passées à la direction générale de Dijon Congrexpo. C’est un départ qui m’attriste mais je suis complètement réconforté par son successeur. Nadine Bazin, jusqu’alors secrétaire général après avoir été directeur financier et responsable de la gestion du personnel, à qui j’ai décidé de confier la mission de diriger et d’animer notre équipe de collaborateurs, dispose sans aucun doute des compétences et de l’expérience nécessaires pour affronter avec succès les défis qui nous attendent. Elle connaît parfaitement les problématiques de la structure. La solution interne s’imposait. »
DLH : La Foire internationale et gastronomique reste la pierre angulaire de toutes vos manifestations, prenant une part importante, pour ne pas dire essentielle, de votre chiffre d’affaires. Pensez-vous la faire évoluer ?
J. B : « La Foire a toujours fait partie de mon inquiétude première parce que c’est notre principale source de revenus. Je constate deux choses : le visitorat aurait tendance à progresser et la moyenne d’âge est jeune. Ce qui me laisse très sincèrement optimiste. Plus que jamais, je crois en la Foire. Elle a la même fréquentation que la Foire de Strasbourg dont les entrées sont gratuites et qui bénéficie d’un environnement bien plus favorable que le nôtre.
La Foire, c’est une alchimie très particulière, un grand moment de convivialité. Contrairement à ce que j’ai entendu, elle n’est pas trop élitiste. Elle est populaire ! C’est le premier événement de Bourgogne – Franche-Comté. Les gens y viennent par plaisir. Dans une démarche de consommation et d’achat. En famille, entre amis. Quelque soit leur âge ou leur origine géographique et socio-professionnelle. La Foire reste un modèle économique pertinent. Nous l’améliorons par petite touche tous les ans. Chaque détail est important. »
DLH : Au regard des problèmes liés à la vétusté du Parc des Expositions, au manque de stationnement, vous seriez favorable à un déplacement du site, donc à une construction d’un nouveau bâtiment en périphérie de Dijon ?
J. B : « Bien évidemment. Nous sommes à saturation. Le bâtiment est vieux et pas adapté aux personnes à mobilité réduite… la verrière n’est pas étanche… ça sent le graillon comme dit le maire… mais nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes. Pourquoi le propriétaire des murs n’installe-t-il pas d’aérateurs ? Pourquoi ne pas chauffer le hall 1 qui ne sert que pour la Foire ? Pourquoi ne pas s’occuper aussi de l’instabilité des sols qui fragilisent l’étanchéité des canalisations ? Ce sont 30 000 € d’eau qui « s’évaporent » ainsi. Je veux bien payer la facture mais ce n’est pas à moi de refaire les sols et les canalisations. C’est pourquoi je pense qu’il conviendrait de construire un nouveau Parc des Expositions, par exemple sur un terrain disponible le long de la rocade. L’urbanisation du site permettrait de payer ce nouvel équipement. Je précise aussi que si on voulait remettre le bâtiment actuel en état on n’en augmenterait pas pour autant la surface ni les parkings. Sans compter que ces travaux, qui dureraient au moins deux ans, mettraient en péril la Foire. »
DLH : Et le prochain invité de la Foire, on le connaît déjà ?
J. B : « Nous avons pensé au Brésil mais le contexte politique n’est pas favorable. Je pense à l’Inde car je constate que cet immense pays fait une grosse promotion touristique en France. Il s’y passe beaucoup de choses. L’Inde est dans un contexte de forte concurrence avec la Chine. Pourquoi pas… Cela aurait du sens. Mais nous sommes aussi sur d’autres pistes. »
Propos recueillis par Jean-Louis Pierre
Dijon Congrexpo en chiffres
Depuis 2010
420 000 journées congressistes extérieurs à la région.
1 760 événements accueillis
330 congrès nationaux et internationaux
62 millions d’euros de retombées pour l’économie locale
Enquête 2018 du visitorat de la Foire de Dijonnaises
78 % des visiteurs de la Foire de Dijon reviennent chaque année ou tous les deux ans.
72 % ont une image positive ou très positive de la Foire.
89 % déclarent que c’est un lieu de convivialité et d’échange pour tous publics.
95 % plébiscitent les stands de producteurs agricoles locaux et de spécialités culinaires.