Connais-tu, cher lecteur, La Calomnie d’Apelle, célèbre tableau de Sandro Botticelli peint aux alentours de 1495? Il s’agit d’une vision allégorique qui met en scène un homme à terre, le calomnié, toi ou moi, aujourd’hui ou demain, traîné par la tignasse devant une cour de Justice par la Calomnie, richement vêtue et flanquée de deux femmes, la Séduction et la Fourberie, qui l’apprêtent en lui tressant les cheveux ; d’aucuns, dans leurs théories complotistes, leur préfèrent le Piège médiatique et la Fraude fiscale.
Parmi les accusateurs, un homme en guenilles, j’allais dire en gilet jaune, qui incarne la Haine et l’Envie par son regard vindicatif tend un bras anormalement long, anormalement tendu, et se couvre d’un capuchon, comme s’il venait de quitter une manifestation devant quelque Arc de Triomphe ; il porte de l’autre main une torche qui ne sert pas à faire flamber des barricades, mais à aveugler le Roi qui, le visage accablé, lui prête attention avec ses grandes oreilles d’âne compatissantes pendant que le Soupçon et la Duperie, les Net Weenies de l’époque, lui susurrent leurs ragots en trollant lâchement le pauvre diffamé et en twittant leur fiel.
À l’opposé de la scène et presque en retrait, une jeune femme nue, Vénus représente la Vérité qui en appelle au jugement divin ; quelque peu amaigrie dans ce tableau et moins désirable, sans ses rondeurs, que dans la célèbre Naissance de Vénusdu même peintre ; elle pointe un doigt en direction des caissons d’une arcature où figure sa propre mise à mort.
À deux pas de la Vérité, se tient une femme grimaçante en toge noire, le Repentir : ses poignets sont croisés comme ceux d’un être prisonnier de ses douleurs et de ses crispations… comme si l’on ne pouvait rien faire dans un état qui se dit de droit… Ce drame si vivant se déroule sous les yeux ébahis d’un peuple de statues que l’on reconnaît parmi des bas-reliefs : chacun semble, pour répandre une autre rumeur, observer et commenter le drame qui se joue à ses pieds comme si LCI et BFM le repassaient en boucle toute la journée. Ainsi Botticelli nous dit que la vérité nue, détachée du désir, parce que plus grand monde ne veut encore d’elle, ni les républicains, ni les anarcho-libertaires, ni les populistes, ni les journalistes, ni les carriéristes, ni les m’as-tu-vu de tout poil… ne peut qu’être vouée à une mise à mort. Vois-tu, cher lecteur, Botticelli l’a dit et les réseaux, surtout qu’on dit sociaux, l’ont fait…
Alceste