L’arme fatale !

« – Salut ! Je suis à Monop, à l’épicerie. Comment ça se fait que je trouv’ pas ton uile de colza ?

-Ta-Ka cherché à droite des cornich’s

– Ouais, ben c’est pas évident

– Envoie moi une foto et je te diré si c’est la bone mark… »

Z’avez pigé ?  Cet échange de vues conjugal à distance et tapé sur smartphone ne survivra ni par la rêverie ni par le merveilleux. Rien à voir avec une tirade tirée du Cid, entre Chimène et Rodrigue ! Le « rvs avec le bo temps » envoyé clic-clac depuis les Caraïbes n’opère pas la magie d’une carte postale dont l’usage appartient désormais au passé antérieur. L’archétype du SMS des Temps Actuels – alias Short Message Service, alias Texto ou Tweet – reflète bien le panthéon des démiurges de l’hyperconsommation ou celui des esprits pragmatiques.

En cet an de disgrâce 2019, qui d’entre nous n’a pas frappé un jour ou l’autre les interrogations existentielles liées au menu de midi ou déroulé la saga de son nombril sur les touches du clavier d’un smartphone ? Bref, jamais sans un mobile ! Le XXIe siècle appuie sur la gâchette, tuant net les nouvelles, les rumeurs transmises par les gazettes, par les colporteurs ou les flotteurs de bois des temps jadis…

Notre vie frelatée plutôt que relatée par le SMS se résume –t-elle à une telle maigreur ou encore à de telles aigreurs du quotidien ? Peut-on imaginer l’amitié de Montaigne ou La Boétie via le numérique ? En trois mots estropiés comme en cent, le texto estourbit toute pensée, blesse à mort toute subtilité, flanquant nos neurotransmetteurs dans un état d’indigence absolue. Qu’on l’agite dans tous les sens, le SMS est donc « l’Arme Fatale » pour les aspirants à l’orthographe « korèque ». Attention danger, tous aux abris ! Il tue ; c’est lui, un vrai serial killer de la syntaxe.

Côté vie de couple de gens mariés, pacsés ou en concubinage, le SMS se révèle tout aussi radical qu’un snipper : un smartphone peut devenir, au moindre doute, l’objet d’un vaste champ d’espionnage pour le mari, le copain, l’épouse ou la copine. Un mot tapé en douce à une voisine de palier que l’on trouve gironde et accorte, et v’lan vous voilà pris la main dans le sac à… ordures, pour avoir laissé le mobile non verrouillé sur la commode de l’entrée. Combien de vies se trouvent-elles anéanties par un tir numérique de feux croisés ?

L’intelligentsia européenne ne cesse de vouer aux gémonies Donald Trump, champion du monde de tir au tweet. Depuis la France, il est perçu comme une sorte d’indien Jivaro, un réducteur de tête ! Notre patrie n’échappe pas à cette cyber-guérilla : actuellement, deux SMS mettent en joue l’Elysée. Visent-ils la mort politique du locataire des lieux ? Cette question-là, Emmanuel Macron doit se la poser, lui, qui – après l’avoir nié – reconnaît bien avoir échangé via la messagerie Telegram à deux reprises et « de manière laconique », depuis l’été avec Alexandre Benalla. Le Président a fait cet aveu à quelques proches, peu après que Mediapart lui a balancé sa titraille. Les deux SMS de Macron à Benalla débusquent ainsi la… raison d’Etat de son camp retranché. Cette paire de fauves farouches ont un temps œuvré en silence pour tomber sans coup férir sur leur proie. Il existe dans les cuisines du Pouvoir un faux-plancher mouvant. La publication de tels SMS peut mettre le feu aux casseroles, soulignant la vulnérabilité de l’exercice présidentiel, tout comme la précarité croissante du système démocratique moderne…

Marie-France Poirier