« Allo, l’Europe ? Y’a jamais person qui répond »

Un coup de jeune sur l’Europe, c’est ce que certains espéraient d’Emmanuel Macron en 2017. Oui, un coup de jeune et un coup de neuf pour une politique étrangère commune. Pour faire endosser à l’Union des 27 un vrai « bleu » de travail et cesser de donner les plein-pouvoirs aux complets-veston – chaussures Weston des haut-fonctionnaires de Bruxelles… Hélas ! Jusqu’ici, l’Europe n’offre aux citoyens qu’une image d’elle-même pusillanime, sans boussole économique, à la merci des lobbyistes, et incapable de mettre en commun les moyens de lutter contre le réchauffement climatique ou d’adopter une politique cohérente face à une immigration – dont elle est paradoxalement l’un des facteurs déclenchants. Alors, allez-vous vous demander, vous l’un des derniers Mohicans à croire en l’Union, qu’est ce qui peut inciter l’électorat à voter pour le « oui » en mai 2019 ?

On est loin d’avoir vu fructifier cette idée d’une Europe formidable, puissante à laquelle ses fondateurs des années 60 – Alcide de Gasperi, Robert Schuman, Jean Monnet et Konrad Adenauer – ont cru. Que voyons-nous en 2018 ? Une Italie qui botte en botte, des pays d’Europe Centrale qui jouent les sales gosses, un Brexit aux conséquences à terme gravissimes… Commémorer les cent ans de l’Armistice de 14-18, pourquoi pas ? Mais en forgeant notre avenir d’Européens, en créant un ministère des Affaires Internationales susceptible de nous offrir un rôle de premier plan sur l’échiquier du monde.

Or, ce ne sont pas les propos essaimés tout au long de la récente itinérance « mémorielle » (ou déshérence ?) de Macron – en réalité un banal itinéraire de délestage politique – qui vont faire sentir aux déçus de l’Europe la nécessité de glisser un vote favorable dans l’urne. A entonner un lamento sur le parallèle de notre époque avec la tragédie des années 30-45, à faire de la surenchère sur la montée du populisme, le président n’a convaincu personne. Il s’est borné à dénoncer « la lèpre nationaliste » : c’est infiniment maladroit, car il alimente ainsi le vivier électoral d’une Marine Le Pen, d’un Mélenchon etc. Il aurait fallu se remémorer que le terme d’ « itinérance » désigne au Québec le phénomène du « sans-abrisme ». L’Europe court-elle le danger de se retrouver SDF à l’issue des élections et connaître un « Europexit » ? Jouer sur l’émotionnel, ne pas miser sur l’intellect, sur les capacités de réflexion des citoyens, c’est blessant et fort inefficace pour susciter un regain de foi en l’Europe. Si les dirigeants des 27 Etats-membres avaient une leçon à retenir de l’Histoire des années 30 et de l’entre-deux-guerres, c’est bien l’urgence – du moins en France – à inverser la courbe d’un chômage endémique, à mettre un terme à la banalisation de l’antisémitisme ou celle de violences anti-policières, ou encore à stopper le face-à-face racial de communautés plus que jamais exacerbé sur notre sol.

Les élections doivent s’échelonner dans toute l’UE du 23 au 26 mai : déjà, on redoute un nombre important… d’abonnés absents à l’Europe. A trop se cantonner dans des argumentaires alarmistes ou au contraire dans des dithyrambes populistes, les chefs des Etats-membres coupent la… voix à l’Europe, la condamnant à un silence criant. Gare à nous !

Marie-France Poirier