A deux enjambées du Palais des Ducs. Rue des Bons Enfants. L’Hôtel Lantin, construit sous Louis XIV. Un lieu de délectation pour qui aime la peinture, ou l’atmosphère raffinée d’un intérieur de grands bourgeois des 19 et 20 èmes siècles. La course folle du monde actuel s’efface, en franchissant cet endroit privilégié, véritable république des arts. Le bâtiment en murs de pierre rose abrite depuis 1938 le musée Magnin. Pour les 80 ans de sa création, Sophie Harent, la conservatrice en chef, propose jusqu’au 6 janvier une exposition vivante et pleine d’érudition qui retrace la saga de la famille Magnin – collectionneurs d’art éclairés. Ils ont fait don à l’Etat de près de 2 000 tableaux, dessins, meubles, et objets d’art.
L’esprit de ces collectionneurs et l’atmosphère d’un cabinet de curiosité animent plus que jamais les trois salles du 1erétage du Musée dédiées à la vie extraordinaire de cette dynastie bourguignonne qui, au fil des mariages et de carrières prestigieuses dans la finance et en politique, s’est hissée jusqu’à cet univers brillant, si subtilement décrit par Proust.
A la manière d’un film, les scenarii de chacune de ces trois salles nous proposent à travers des tableaux, des documents d’archives, des photographies ainsi qu’une nombreuse correspondance de revivre l’ascension des Magnin depuis la toute fin du 18ème. Tout en mettant l’accent sur les transformations opérées sur 100 ans environ par les membres de la famille dans cette belle demeure, et ce, jusqu’à son statut de Musée National en 1947. C’est à Maurice, collectionneur émérite et dernier représentant des Magnin, que Dijon est redevable de posséder un tel joyau, aussi magique que le célèbre Musée Jacquemart-André à Paris. Il fut épaulé dans cette vaste épopée artistique par sa sœur Jeanne, femme de caractère et historienne d’art chevronnée : on doit à celle-ci d’avoir rédigé le catalogue du Musée, juste avant sa mort qui intervint un an avant l’ouverture des lieux au public.
La collaboration du frère et de la sœur s’avèrera remarquablement judicieuse, comme le souligne Sophie Harent : « Outre un riche fonds nordique et italien des 17 et 18 èmes siècles, la collection est surtout connue pour des chefs d’œuvre de la peinture française du 18èmedus au pinceau de Laurent de La Hyre, Le Sueur et Sébastien Bourdon. »
La rétrospective des 80 ans du Musée joue sur notre curiosité, tant elle nous rend sensibles à des époques aujourd’hui disparues. Mieux, elle incarne à merveille cette France, où l’ascension sociale donnait accès à l’univers de l’art, de la culture, à celui de la pensée ou de l’érudition.
Un mot encore pour la muséographie de ces trois salles dédiées à la saga des Magnin, elles nous plongent dans les sortilèges de vies à plus d’un titre romanesques…
Marie-France Poirier
Encadrés
Salle 1 : D’une demeure particulière au Musée
Après la mort de leurs parents, Maurice et Jeanne Magnin vivent entre Paris, Dijon, la Normandie ou encore dans leur maison de campagne à Brazey. La salle évoque la genèse de cette importante collection : la plupart des œuvres ont été achetées à l’hôtel Drouot, à des prix plutôt modiques. C’était, là, une ligne de conduite. Tableaux et dessins sont installés durant les années 1930 dans la perspective du futur musée : proches et amis seront conviés à ces accrochages … Jeanne et Maurice font d’ailleurs appel à leur ami Auguste Perret – architecte fort en vogue à l’époque – pour aménager les écuries ainsi que l’ancienne salle intérieure couverte (création d’ un puits de lumière.) Le bâtiment sera classé monument historique en 1938. Puis érigé en musée national en 1947.
Salle 2 : la famille Magnin au 19èmesiècle
Le salon Napoléon III retrace l’histoire des Magnin depuis la fin du 18ème. On y voit comment l’activité du négoce du bois, celle de maître-de-forges, la possession de terres alliée à un talent certain pour les affaires politiques et celui de contracter de ‘’beaux mariages’’ sont les pierres fondatrices de la fortune, de la réussite des ancêtres de Maurice et Jeanne Magnin !
Salle 3 : Joseph Magnin, Jeanne et Maurice
Joseph Magnin aura, en dehors de ses activités à la cour des Comptes, la passion de suivre les ventes aux enchères de l’hôtel Drouot. Il arpente quotidiennement les salles et où, selon des témoignages de l’époque, il donne des rendez-vous professionnels… Ses enfants suivront ce fil d’Ariane ! Jeanne aura tout loisir de se livrer à ses activités d’historienne de l’art. Elle s’essaiera de surcroit au dessin et à la peinture : la salle 3 nous en apporte le témoignage. De sa formation auprès du peintre Henri Harpignies et du graveur Auguste Delâtre, elle tire une connaissance approfondie des techniques picturales et des matières. Maurice, lui, s’était fixé une ligne de conduite et des limites financières dans ses acquisitions. Au hasard des ventes, sans jamais dépassé 1 000 francs pour ses achats, il a ainsi constitué une collection de deux mille œuvres environ, mêlant peintures, dessins, gravures, objets d’art et mobilier.