A Dijon, l’art contemporain fait le mur !

 

Dijon crée une heureuse surprise en choisissant de donner à l’art contemporain toute la place qui lui est due. En favorisant son accès auprès du plus grand nombre. L’impertinence, la liberté des créateurs rajeunissent le regard qu’on portera désormais sur notre cité : ses murs, ses jardins publics, ses musées ou ses galeries sont plus que jamais des lieux de croisements. Des lieux de découvertes extrêmes : beauté de vies d’ici ou d’ailleurs, érotisme, satire sociale, vision acide d’un univers victime de déflagrations intégristes ou économiques. Autant d’images de combat en faveur des grandes causes humaines, telle cette dénonciation de la guerre en Ukraine qui s’affiche sur les grands panneaux apposés aux grilles du jardin Darcy…

L’art d’aujourd’hui, ses fulgurances, ses éclats, l’incandescence de ses cratères s’exposent également pour cette troisième biennale au Consortium de la rue de Longvic, ou encore dans l’une des galeries récemment ouverte, « Art Trade Gallery »  rue Chaudronnerie. L’art du XXIème siècle explose à la vue de tous, séduit par son statut international. Vive cette épopée des possibles, tout comme  des impossibles ! Marquons la pause devant ces vastes carrefours esthétiques, devant ces flashs d’une plasticité décapante !  Qu’importe les conventions, si la légende est belle… Et son ombre portée intrigante…  

 

Le Consortium s’affiche

Depuis deux ans, le Consortium organise des campagnes audacieuses d’affichage dans toute la ville, dans l’espoir d’accrocher le regard des Dijonnais et de les inciter à se frotter davantage aux œuvres des créateurs de notre époque, dans un espace de 4000 m2 au 37 rue de Longvic. L’occasion leur est donnée avec la 3èmebiennale d’art contemporain  – L’Almanach 18 –  qui débutera le 23 juin pour se terminer le 14 octobre. D’autant que les curieux, qui osent lever le nez, peuvent apprécier deux nouvelles initiatives du Consortium, deux créations sur les murs de ce quartier de Dijon : une belle sérigraphie de Loïc Raguénès face au Casino de la rue d’Auxonne ainsi qu’une tête de fauve sur le mur d’une belle demeure qui fait face au Consortium. Epoustouflant, non ?

Cette 3èmeBiennale prendra un tour particulier, puisqu’on s’apprête à fêter les 50 ans d’existence du Consortium, conjointement au Centre Beaubourg à Paris qui affiche le même âge! Certes, le Consortium n’accueille pas autant de visiteurs : 15 000 environ, par an. Il n’empêche qu’il est davantage connu à l’étranger qu’il ne l’est à Dijon, sauf des enfants et des adolescents régulièrement accueillis et initiés à l’art contemporain par des médiateurs. Bref, en un mot comme en cent : ce sont les adultes qui manquent à l’appel ! Et c’est cette anomalie-là que ses responsables veulent voir absolument « réparée » (1).

La dimension internationale du Consortium n’est plus à démontrer : l’aéroport Dijon-Bourgogne en est l’illustration puisqu’y atterrissent régulièrement en jets privés des amateurs d’art venus d’un coin à l’autre de la planète. Ajoutons que son équipe artistique conduite par Franck Gautherot et Eric Troncx est très sollicitée à l’étranger pour monter des expositions d’envergure. D’ailleurs, dans le cadre de l’Almanach 18, le Consortium Muséum mobilise tous ses outils de diffusion, exposant ses savoir-faire, présentant ses activités d’édition – les Presses du Réel – et sa production cinématographique  – Anna Sanders Films. Sans oublier l’exposition d’œuvres sorties des collections. Ajoutez  un concert et un cycle de conférences avec le Centre Beaubourg ainsi que la prestigieuse Fondation Hartung.

Et puis grain de raisin sur le gâteau d’anniversaire des 50 ans, l’inauguration le 23 juin de l’exposition des travaux photographiques réalisés par feu le philosophe Jean Braudillard : ce sera dans le cadre de l’Académie Conti créée en 2012, à Vosne-Romanée.  Enfin-enfin, trois autres points importants à retenir de cet été intense et abrasif imaginé par le Consortium : le lancement d’un nouveau magazine semestriel, deux ouvrages rétrospectifs de son demi-siècle d’existence. Et les expositions qui permettront de découvrir 12 jeunes artistes, dont Luc Ming Yan – le fils du grand Ming,  Geneviève Fugis, Yann Gerstberger, Nathalie Du Pasquier, Salvatore Mangione, Renaud Jerez, Matt Connors, Thomas Schütte, Martin Puryear. Voilà qui traduit bien la vocation de « défricheur de talents » du Consortium.

Si l’on regarde les perspectives futures au-delà de cette toute prochaine saison si foisonnante, se profile l’amorce de ce qui n’existe encore qu’à l’état de projet : l’extension de ce bel endroit qui occupe l’ancienne usine l’Héritier-Guyot, rue de Longvic. Des pourparlers ont cours entre l’équipe dirigeante du Consortium et la ville de Dijon pour l’éventuelle création d’un étage supplémentaire, où seraient présentée aux visiteurs une partie des réserves. L’illustre architecte japonais Shigeru Ban – il avait en 2012 réhabilité les lieux en collaboration avec Jean de Gastines – est récemment revenu afin d’étudier le dossier. Wait and see…

(1) Il existe déjà des sessions de formation de quatre jours pour les adultes, outre les visites et ateliers avec jeux de rôle destinés aux enfants le mercredi en période scolaire et durant les vacances.

 

Les oeuvres d’art font le mur !

 

 

Changement des mentalités, les années 2010-2020 mettent au vert et à l’air libre les créations artistiques. Bravo ! La Ville de Dijon a le vent en poupe : «  L’art dans la rue est une incitation à franchir la porte d’un musée, d’une galerie… ». On doit l’expression à Christine Martin, adjointe aux Affaires culturelles de Dijon, adepte passionnée du Street Art. Illustration de cette politique sur les grilles du Jardin Darcy, depuis plusieurs années. Et, tout de suite, le déroulement du fil d’ici à l’automne …

D’emblée, Christine Martin rappelle que cette initiative est le fait de François Rebsamen qui, pour avoir vu les murs « vivants » du quartier Oberkampf à Paris, avait décidé de lancer ce type d’action culturelle. Depuis, l’idée a cheminé et s’affiche avec audace dans plusieurs lieux de la cité des Ducs.

Début juillet, l’association Zutique, prestataire de services de la ville (notamment pour les Nuits d’Orient) va dépêcher un artiste, afin qu’il exécute en direct une fresque sur l’un des murs de la rue Jean-Jacques Rousseau : « Le projet examiné en commission de quartier a suscité un élan unanime tant chez les patrons de restaurant, que parmi les commerçants ou les riverains », poursuit Christine Martin. « L’œuvre sera encadrée à la façon d’un tableau géant. Il s’agit d’une création éphémère ; chaque trimestre, interviendra un nouveau créateur du Street Art ».

On l’a compris, la motivation première est de créer parmi les passants ou les touristes des émotions, de provoquer des interrogations de tout ordre, au gré des déplacements dans les rues, dans les espaces publics ou les jardins, ou encore dans les squares. Bref, dans tous les lieux « où, ça a du sens, la ville entend multiplier ce genre d’opérations », précise encore l’adjointe à la Culture.

A ce titre, les enfants des écoles – sous l’égide d’Anne Gautherot et de l’association « Mode de Vie »- avaient contribué, l’hiver dernier, à la conception artistique de panneaux installés à l’entrée du parking Darcy. L’opération avait rencontré un vif succès, tant on était séduit par la fraîcheur et le style naïf des scènes représentées. Dans un très proche avenir, d’autres installations sont envisagées en collaboration avec les musées, au centre-ville.

Pour revenir à un passé très immédiat, retour au Jardin Darcy, ou plus exactement à ses grilles, avec une série de photos géantes réalisées par les membres de l’association « Uart » lors de leur voyage en Ukraine (1). Ce travail photographique présentait les œuvres d’artistes ukrainiens et internationaux  sur les murs des immeubles de Kiev et de Lviv. Le but poursuivi ? Sensibiliser le public dijonnais au conflit en Ukraine, à travers le prisme du Street Art. C’étaient là des témoignages d’une beauté poignante. Rares sont les personnes à ne pas s’être arrêtées longuement devant ces fresques qui relatent le télescopage entre l’horreur du conflit, l’espoir et l’idéal de beauté qui subsistent malgré tout dans le cœur des hommes. Moments intenses, bouleversants …

(1) UART désigne le collectif constitué par des étudiants de Sciences-Po Dijon.

 

 Art Trade Gallery bouge les lignes!

 

Le N° 8 de la rue Chaudronnerie n’a rien à envier aux galeries parisiennes: même espace lumineux et minimaliste, même audace. En revanche, ce qui marque une différence : l’accueil convivial de son fondateur, Louis Cuveillé. Rien de compassé ni trace d’élitisme chez ce jeune homme…

… Qui appartient à une famille de marchands d’art depuis 3 générations. Rien ne le destinait à s’installer à Dijon, si ce n’est le coup de cœur qu’il a ressenti, lorsqu’il a découvert la ville. Le charme du quartier des Antiquaires a fait le reste… Et le voilà, depuis un peu plus d’un mois, à la tête d’une galerie qui fera date, tant elle ouvre des pistes inédites et affiche une audace éclatante ! Le lieu est ouvert du mardi au samedi. Tout de suite, on se trouve pris aux sortilèges de la création – la « vraie » – de l’art contemporain.

Louis Cuveillé a pris le parti de présenter des créateurs reconnus au plan national, tout en faisant la part belle à des artistes régionaux, tel le sculpteur Renald Pierre. Un magicien que ce Renald Pierre, qui fait surgir de son travail avec la terre un bestiaire à la fois puissant et aérien ! Son Bonobo est absolument irrésistible …

L’enthousiasme de l’amateur d’art ne connaîtra aucun répit devant une œuvre toute en abysse de Philippe Pasqua. Que dire aussi des autres artistes exposés actuellement ? Qu’il s’agisse de Jean-François Gambino, de Loïc Fenx  ou de Xavier Danbrine et de David Zeller, tous – oui, tous absolument – provoquent ces frissons, cette émotion de l’esprit qui n’appartient qu’à l’art quand il sait être grand et novateur …

M-F. P