L’année dernière à Dijon, début 2017, j’avais daubé dans ces colonnes sur les vaticinations filmiques de Marguerite Duras. Mais la bonne dame de Trouville a une sorte d’alter ego masculin, un peu moins talentueux qu’elle toutefois dans le bouffon pontifiant : Alain Resnais.
Avec un sérieux imperturbable ce cinéaste « exigeant » (il faut toujours se méfier de cet adjectif, surtout quand il est employé par Télérama) a aligné les films les plus cervicaux, avec beaucoup de neurones mais assez peu de synapses pour articuler les séquences et mettre du liant dans les scénarios. On peut penser à La guerre est finie où des militants anti-franquistes clandestins n’ont pas compris qu’elle l’était – finie, la guerre – et passent leur temps dans des trains qui glandouillent entre la France et l’Espagne. Ou à Mon oncle d’Amérique, réflexion sur l’inconscient non freudien où des rats de laboratoire croisent des acteurs soudain affublés d’une tête de rat, car les hommes ne sont peut-être que des sujets d’expérience dans la société formatée en un labyrinthe pour laborantins !
Dans L’Année dernière à Marienbad, second long métrage fictionnel de Resnais, sur un texte de Robbe-Grillet (qui aurait dû faire un usage plus radical de ses gommes), le décor est aussi celui d’un labyrinthe, comme dans Shining de Stanley Kübrick. Et comme dans Shining tout se déroule dans un immense hôtel (Kübrick aurait-il pompé sur Robbe-Grillet et Resnais ?), en fait un « kolossal » palais baroque transformé en palace. Des dépressifs en costumes de soirée y traînent leur mal de vivre existentiel et mondain en égrenant des lambeaux de phrase élégants et creux. Viennent-ils ici pour faire du tourisme ? Pour une cure dans une ville d’eau aussi austro-hongroise qu’ennuyeuse à mourir ? D’ailleurs, ils sont peut-être morts… Et s’ils ne le sont pas, ils le seraient métaphoriquement, réduits à n’être que des pantins dans un univers d’apparences.
Waouh ! Je me suis laissé aller à une interprétation digne d’un prof de lettres ! J’avoue que j’en ai honte… Il vaut donc mieux que je laisse parler la voix off qui commente les languissants travellings initiaux sur le décor surchargé de stucs et dégoulinant à dégueuler du palace rococo : « Je marche à travers ces salons et ces galeries où les couloirs interminables succèdent aux couloirs, aux enfilades de portes, avec des miroirs noirs, des tableaux aux teintes noires, décor immense, luxueux, baroque, lugubre ».
Et au bout de l’errance dans le labyrinthe, nous rencontrons enfin les clients de l’hôtel aux visages immobiles, indifférents, aussi figés que des surgelés. Un couple, à l’écart, se reflète dans une glace pendant que Monsieur fait quelques reproches à Madame : « Je ne peux plus supporter ce rôle, ce silence, ces murs, ces chuchotements où vous m’enfermez, ces journées, pires que la mort, que nous vivons ici côte à côte, vous et moi, comme deux cercueils placés côte à côte sous la terre d’un jardin figé ». Avec de pareils dialogues, on comprend pourquoi les personnages tirent des tronches d’enterrement.
Toutefois, dans ce théâtre de zombies au style ampoulé, un homme racé à l’accent italien semble un peu plus vivant que les autres. Il s’attache à une jeune femme charmante (Delphine Seyrig), il la suit pas à pas (ce qui fait de sacrées distances, vu les dimensions de l’hôtel et du jardin à la française qui l’entoure). Il cherche à la persuader qu’ils ont eu une aventure, « l’année dernière à Marienbad », qu’elle lui a promis de partir avec lui un an plus tard, le temps qu’elle s’accoutume à l’idée de quitter son mari. A la fin du film, elle est vraiment prête à suivre cet amant. A moins qu’elle ne l’ait déjà suivi, en fait, « l’année dernière à Marienbad ». On ne sait pas si ça se passe maintenant, si ça s’est déjà passé, si ça se passera dans douze mois, et si Alain Robbe-Grillet comme Alain Resnais avaient fumé de la moquette… Car la vie est dure, le ciel plombé et le temps incertain, surtout à Marienbad.
Michel Erre
Références : L’Année dernière à Marienbad (France, 1961).
Réalisateur : Alain Resnais.
Interprètes : Delphine Seyrig, Giorgio Albertazzi et Sacha Pitoeff.
Edité en DVD chez Studio Canal.