Peut-on inscrire la pomme de terre au menu du Réveillon ? Est-elle assez chic ? Oui, avec deux recettes originales : le chef-cuisinier Jean-François Page donne des allures de fêtes à son pot au feu au foie gras.
De même en entrée, les pommes de terre avec œufs de lump ou caviar méritent que le Père Noël descende de sa motoneige et fasse étape gourmande prolongée chez vous. Récemment, dans le cadre de l’association du SHCO (Société d’horticulture de Côte-d’Or), le docteur ORL Dominique Deslandres, aujourd’hui à la retraite et jardinier passionné, a donné une conférence sur l’histoire mouvementée de la pomme de terre consommée par les hommes depuis la Préhistoire, soit environ -10 000/-8000 ans avant JC. Il a également évoqué les vertus nutritives du célèbre tubercule, qui a sauvé des peuples de la famine.
Dijon L’Hebdo : Pourquoi ne peut-on- pas se passer de la pomme de terre ? En 2017, a-t-elle toujours la frite ?
Dominique Deslandres : « Oui, elle a la « patate ». Et, non, on ne peut s’en passer… Car elle constitue un trésor nutritionnel, une fois cuite. Pas question de la consommer crue ! Pour une meilleure digestibilité, il faut cuire la pomme de terre dans sa peau à l’eau ou à la vapeur de préférence (la durée dépend du mode de cuisson). En effet, l’épluchage avant cuisson enlève une partie des vitamines et minéraux et favorise leur migration dans le milieu de cuisson. Au four, en purée ou en salade, elle s’avère très digeste. Elle contient beaucoup de fibres alimentaires, une profusion de vitamines et de minéraux. Quant aux variétés à chair bleue ou violette, elles sont riches en antioxydants.
Sa valeur énergétique se situe autour de 75 Kcal : elle apporte des glucides, des protides ; elle est pauvre en lipides, mais riche en vitamines C, B3, B5 et B6… Elle est originaire d’Amérique du Sud : les Incas la cultivaient jusqu’à environ 2400 mètres d’altitude et l’appelaient « Déesse de la Vie ». On a retrouvé les traces d’une production très ancienne aux abords du Lac Titicaca (1).
Au milieu du 19e siècle, avant qu’elle ne soit attaquée par le mildiou, elle a permis notamment au peuple irlandais de juguler la famine. Bien sûr, elle ne possède pas de protéines animales. Je voudrais préciser qu’elle revient de loin, de très-très loin notre pomme de terre ! En un mot, elle a la vie dure ! Elle a dû affronter bien des obstacles liés à la grande réticence des gens des 16e et 17e siècles à la consommer. Plus récemment, il lui a fallu – ou plutôt les horticulteurs comme les jardiniers – vaincre les deux ennemis redoutables que sont le mildiou et le doryphore, sans compter quelque 160 autres maladies qui guettent notre tubercule préférée…
Une fois rendue maîtresse de son … champ de bataille, elle est repartie à la conquête du monde ; actuellement, elle est cultivée dans 150 pays. En moyenne, son rendement se situe autour de 17 tonnes à l’hectare (jusqu’à 50 tonnes dans les pays développés). De quoi donner à réfléchir, si l’on songe que ce même hectare ne « produit » que 150 kilos de viande, et encore au prix d’une grande pollution et d’un énorme gaspillage.
200 espèces différentes en France
Le fait qu’on ait enrayé mildiou et doryphore a permis d’en multiplier les variétés grâce aux techniques d’hybridation et de clonage. En France, on consomme environ deux cents espèces différentes, réparties en 4 types allant de chair ferme à chair très farineuse. Ce sont les prêtres missionnaires envoyés au Pérou, qui avaient été les premiers à la faire connaître en Europe, et ce, dès le 16e siècle. Elle fut assez vite cultivée dans les jardins des simples par les communautés monastiques, pour ses propriétés sédatives et narcotiques. Il n’empêche que durant deux siècles, elle a constitué la base d’alimentation des cochons ou des prisonniers.
J’évoquais tout à l’heure le refus de la consommer dans le passé, où elle fut accusée successivement d’apporter la lèpre ou la peste. Paradoxalement, dans le même temps, elle suscitait la curiosité des rois, des aristocrates et des esprits scientifiques – dont le botaniste ardéchois Olivier de Serres (vers 1650) -, et plus tard Parmentier qui en fit en faire la promotion avec le succès que l’on sait. Je ne m’étendrai pas là-dessus ; je préfère aborder le bel avenir écologique à laquelle la « permaculture » semble la vouer. Voilà qui mérite quelques explications. Cette technique, fondée sur un retour à des pratiques agraires ancestrales, consiste à observer les phases suivantes : opérer une tonte en herbicyclage ; couvrir la surface avec un carton propre perforé tous les 40 centimètres ; scarifier le sol et placer les pommes de terre dans chaque trou ; couvrir de BRF (bois raméal fragmenté) sur 15 centimètres d’épaisseur. Les racines poussent sous terre, alors que les tubercules croissent au-dessus du carton. Ce qui permet de les prélever au fur et à mesure, sans rien détruire. Disons que c’est le dernier tour de passe-passe que nous réserve « notre » pomme de terre qui – on vient de le voir – fait feu de tout bois. »
Propos recueillis par Marie France POIRIER
(1) Les Incas la cultivaient en altitude et l’appelaient ‘’papa’’, puis ‘’Papa’’ avec majuscule lorsqu’elle a été donnée au Pape. Pour éviter qu’elle ne ‘’fabrique’’ des alcaloïdes, très toxiques, ils la lavaient de nombreuses fois, puis la faisaient sécher et la réduisaient en poudre avant de la consommer. Avec le maïs, elle était à la base de leur alimentation. Il convient d’insister sur le danger à la consommer crue. Car, la pomme de terre contient un toxique : la solanine. Les pelures, les feuilles et fruits non mûrs sont toxiques, mais ce sont surtout les germes ainsi que les tubercules germés ou verdis qui présentent une teneur en solanine élevée. La solanine a une action irritante sur le tube digestif et une toxicité nerveuse. Enfin, elle n’a rien en commun avec la patate douce.