Carbone… à l’affiche

CARBONE, polar français d’Oliver Marchal avec le sensible Benoit Magimel, l’étonnant Gringe, la sublime Laura Smet, la mythique Dani et le patron … Gérard Depardieu.

Menacé de perdre son entreprise, Antoine Roca (Benoit Magimel), un homme ordinaire, met au point une arnaque qui deviendra le casse du siècle. Rattrapé par le grand banditisme, il lui faudra faire face aux trahisons, meurtres et règlements de compte.

Du polar à la pelle s’amoncelle en ce mois de novembre sur les écrans très noirs de nos nuits blanches : Tout nous sépare de l’ex-critique Thierry Klifa (déjà chroniqué), Le Fidèle du belge Michaël R. Roskam, Logan Lucky de l’américain Steven Soderbergh… et Carbone de l’ex-flic Olivier Marchal, reconverti dans le cinéma certes stylisé, mais aussi « sévèrement burné » !

Carbone ou l’histoire vraie d’une arnaque à la taxe… carbone, descente aux enfers d’un patron carbonisé qui veut s’en sortir, préserver sa vie confortable et ses employés. L’histoire d’un mec marié à Sonia (la mutique puis mutine Naomie Winograd), fille d’un homme très riche, Goldstein interprété par un Gérard Depardieu gargantuesque. Antoine a pu offrir à sa femme une vie très agréable (car bonne), en résistant à la pression que lui impose ce colossal beau-père.

Mais le cœur exsangue de Roca se laisse ronger par sa fortune soudaine et ses nouvelles relations nocturnes, au point de sombrer, criblé de balles, sur le bitume. Le film commence ainsi, le spectateur est d’emblée averti. Pas de surprises dans le cinéma balisé de Marchal, seulement le plaisir de retrouver les atmosphères particulières du film noir à la française, sa mythologie et ses personnages cabossés par la vie. Alors pourquoi remonter le fil inexorable du temps cinématographique et de la tragédie en toc ?

Peut-être pour la beauté de la rencontre inattendue entre Antoine et Noa, dans un ensorcelant jeu de regards et un soin particulier apporté à la lumière et aux décors de la nuit, temps de tous les possibles, lieu charnel de toutes les folies. Benoit Magimel, acteur incontournable et fragile de notre cinéma, alterne les thrillers (La French, Marseille, Le Convoi, Money) et les films d’auteur (La tête haute, La fille de Brest et bientôt La douleur d’après Marguerite Duras). Marchal a la belle idée de l’associer avec une comédienne exceptionnelle et rare, la jeune Laura Smet, trente-trois ans, quinze ans de carrière, quelques frasques et trous d’air depuis Les corps impatients. Nous avons eu la chance de la voir récemment dans des productions télé de grande qualité : la série Dix pour cent de Laurent Tirard sur France 2 ou La bête curieuse de Laurent Perreau diffusée sur Arte. Elle est formidable dans Carbone, et l’association Magimel/Smet, deux écorchés vifs, fait des étincelles. On en vient alors à regretter que le rôle de Noa n’ait pas eu un peu plus d’épaisseur dès l’écriture du scénario.

On remonte le fil du temps également pour Dani, actrice truffaldienne de La nuit américaine et L’amour en fuite, chanteuse et meneuse de revue. Elle apporte là sa connaissance noctambule et son aura indépassable, que la bringue et notre amour n’auront jamais su épuiser. Elle est Dolly Wizman, la mère de Simon (Gringe) et Eric (Idir Chender), deux frères qui entraîneront malgré eux Antoine vers sa déchéance. Son rôle est beaucoup plus complexe et déterminant qu’il n’y paraît au premier abord.

Enfin, on se réjouit de la bande son envoûtante d’Erwann Kermorvant, compositeur attitré de Marchal, et des deux morceaux de rap français qu’on peut y entendre : « On pense tous monnaie monnaie » de la Scred Connexion et « Suicide Social », le chef-d’œuvre sans concession d’OrelSan dont le comparse Gringe confirme ses talents de comédien après Comment c’est loin.

Pour ses acteurs et ses actrices, navigant entre force et fragilité, la lumière magnifique du jeune chef opérateur Anthony Diaz, la musique fascinante d’Erwann Kermorvant, l’ivresse de la nuit et de ses interdits, Carbone, vrai polar sombre à la française, cartonne. Mais ne me dites pas que cela vous étonne !

Raphaël Moretto