On a fait la peau du 36 Quai des Orfèvres, LE personnage mythique de la littérature et du cinéma policiers. Le commissaire Jules Maigret en a cassé sa pipe, pris au piège de cette scène de crime, qu’il n’aura pas eu le temps de décrypter, abattu net d’une balle mortelle tirée d’un calibre 36 depuis la rue du Bastion, en plein quartier des Batignolles. Le médecin légiste des Temps Actuels vient donc de refermer la chambre froide sur le commissaire, et ses quatre fidèles inspecteurs Lucas, Janvier, Lapointe et Torrence… Les férus de polards à l’ancienne sont tous marris ; aucun ne parvient à faire son deuil de ce lieu à la Shakespeare, de ses couloirs sans fins où bruissaient histoires noires, affaires résolues, énigmes non élucidées, rumeurs surgies de l’ombre et coups de Trafalgar… Le déménagement géant du Quartier Général de la PJ avait commencé le 18 avril et le voilà donc parvenu au terminus du 36 rue du Bastion dans le XVIIe. Et les media d’énumérer tous ceux qui – de Jean Richard à Bruno Cremer – se sont glissés le temps d’un film ou d’une série TV dans la lourde et légendaire silhouette du personnage créée par Georges Simenon.
De grands flics, la plupart originaires du sérail parisien, de Lille, de Corse, de Marseille ou encore de Lyon ont marqué de leur empreinte ou de leur ombre le 36 Quai des Orfèvres. Peu ou pas sont passés par la PJ de Dijon, Place Suquet. En revanche, la Côte-d’Or a constitué une étape importante dans la carrière de Mireille Ballestrazzi nommée en 2013 patron du prestigieux 36. La commissaire s’était rendue célèbre – elle était alors à la tête de l’Office Central de la Répression des vols d’œuvres et objets d’art – pour avoir retrouvé au Japon quatre tableaux de Corot dérobés au musée de Semur-en-Auxois.
Qu’ils soient puissants, désenchantés, intègres ou ripoux, soldats de l’aube, anti-héros, les commissaires ou inspecteurs Maigret, Wallander, Van Heerden, Harry Bosch, Erlendur Sveinsson ou le déjanté et génial Sud-Africain Benny Griesse exercent une fascination, sans nulle autre pareille, sur le lecteur de ce siècle : ils sont symboles d’imaginaire, d’évasion – un comble pour ceux qui mettent à l’ombre ! Ils interviennent aux frontières obscures du renseignement, de notre cyber-économie, de nos régimes politiques, des trafics d’argent, des filières mafieuses, des réseaux terroristes. Ils nous entrainent jusqu’au tréfonds de l’âme humaine, jusqu’à ses mécanismes les plus époustouflants, dérangeants, et si possible dangereux. Vivre ainsi par procuration les protagonistes d’un bon polar, en devenir « addict », ça vaut tous les coups d’adrénaline, voire tous les bonheurs du monde !
Les poulets de la littérature policière vont même jusqu’à nous initier à la gastronomie des terroirs. Tel le policier catalan Pepe Carvalho, le héros baroque du romancier Manuel Vázquez Montalbán. Bref, c’est dire que ce monde-là, des Mœurs, des Stups aux Bœufs-Carottes, ne vit que pour… nous cuisiner ! C’est carrément formidable… Dans cette Chanson de Gestes du « Chevalier à la Gachette », il reste un vœu à formuler : que le bâtiment neuf du 36 rue du Bastion, en forme de huit géant et ondulant – chiffre kabbalistique à double détente –, doté des technologies les plus avancées devienne une adresse de légende. Comme le fut le 36 quai des Orfèvres, siège de la PJ plus d’un siècle durant. Et, vive les nuits blanches de la série noire !
Marie-France Poirier