Les petites annonces matrimoniales du magazine « Le Chasseur Français » s’apparentent à une véritable institution de plusieurs décennies qui perdurent malgré les Meetic.fr, les speed dating and co. La cible pour les chasseurs n’est pas toujours celle que l’on croit…
« Haut les mains, peau d’lapin, haut les pieds, peau d’gibier, la maîtresse en maillot d’bain ! » Sûr, tous les gamins ont entonné un jour ou l’autre cette comptine sous les marronniers des cours de récréation, sans jamais en saisir la dimension coquine à double détente. Jetons-nous dans le feu de l’action de cette rentrée des classes et de l’ouverture de la saison de la chasse. Proposons donc l’intitulé d’un devoir d’arithmétique aux chauds lapins, aux fripons du jupon, aux Don Ju-Ju, aux Don Juan ainsi qu’à ceux qui – ne soyons pas élitistes – ont la gâchette plus timorée : « Sur les 13 500 chasseurs que compte la fédération de Côte-d’Or, combien sont susceptibles de passer une petite annonce matrimoniale dans le célèbre, délicieux et suranné magazine Le Chasseur Français ?
Sachant que dans ces adhérents qui traqueraient l’âme sœur, il y a tout de même un petit moins de 10% de tireurs à l’arc, dont le digne représentant demeure l’indétrônable Cupidon joufflu et fessu… Et puis au sortir de cette battue des fourrés métaphysiques, un deuxième devoir de philo, tout spécialement destiné aux chasseurs de gibier d’eau, de bécassines, voire de poules faisanes : « Un permis de chasse permet-il de mieux cibler les cœurs à prendre et à… tirer en plein vol ? » Terminons-en avec la galerie des trophées à poil, à plumes, en dentelles ou encore en jarretelles ! Il est temps de revenir… Hélas, de revenir à une réalité moins gaillarde, pathétique ! Celle des cœurs pris dans les pièges à loup d’une solitude profonde, et à qui la vie a réservé bien trop d’hallalis. Pour beaucoup d’entre eux (ou d’entre elles), subsiste ce terrain de chasse plus que centenaire et moins accidenté que constituent les pages d’annonces matrimoniales dudit Chasseur Français – îlot de résistance au beau milieu des rencontres sur le web, des speed dating ou des Meetic.fr and co.
Ses annonces sont diantrement plus « fleur au fusil », plus émouvantes, plus tendres, en un mot davantage « vieille France… » Voilà pourquoi, il est urgentissime de l’inscrire, ce canard de Chasseur Français, au Patrimoine mondial de l’Unesco, tout comme de le déclarer d’utilité publique !
Il aurait en effet à son actif la formation de plusieurs centaines de couples par an grâce aux échanges épistolaires entre lecteurs et lectrices de France, et – bravo pour sa puissance de tir – de pays francophones dont le Québec. Les cyniques, les Casanova se risqueront à n’y voir que des « pacs de l’ours et de l’élan », ou des « mariages de la carpe et du lapin ». C’est un peu trop facile de gloser : épancher son besoin d’amour à l’encre violette sur du papier pelure, sur du vélin supérieur revêt un caractère de non-allégeance à la décennie actuelle qui aime s’adonner aux liaisons dangereuses connectées, aux cibles d’amours virtuelles. Les « gages d’amour sérieux » gagnés à la pointe du fusil de notre Chasseur Français, écrits à la main puis expédiés par la poste s’inscrivent, eux, dans la droite ligne de cœur des troubadours, des princes et de leurs Dames évoqués dans les Chansons de gestes ou les rondeaux de Charles d’Orléans… Oui, faisons le rêve d’un Lancelot, Chevalier à la Charrette, fidèle abonné du Chasseur Français !
Marie-France Poirier