Ciné : Wind River

De Raphaël Moretto

Wind River, thriller américain de Taylor Sheridan avec Elisabeth Olsen, Jeremy Renner et Kelsey Asbille.

Cory Lambert (Jeremy Renner, visage buriné par le froid et l’histoire de sa vie) est pisteur dans la réserve indienne de Wind River, perdue dans l’immensité sauvage du Wyoming. Lorsqu’il découvre le corps d’une femme en pleine nature, le FBI envoie une jeune recrue (Elisabeth Olsen, blonde et blanche comme la neige) pour élucider ce meurtre. Fortement lié à la communauté amérindienne, Cory va aider Jane Banner à mener son enquête dans ce milieu hostile, ravagé par la violence et l’isolement, où la loi des hommes s’estompe face à celle impitoyable de la nature.

L’écran redevient vite cette immensité blanche qu’un loup imprudent va tirer de sa beauté immaculée, terrassé par le tir du chasseur Cory Lambert. Si ce dernier part à la recherche de pumas, c’est bien d’un meurtrier dont il va suivre la trace, dans le vent, la neige, le froid… mais aussi la lâcheté et la bêtise humaine.

Nous sommes loin de la Croisette, où le film fut présenté avec succès à « Un Certain regard » cette année. Wind River est signé Taylor Sheridan, scénariste de Sicario (2015) de Denis Villeneuve et de Comancheria (2016) de David Mackenzie, ces trois films remarquables constituant pour leur auteur une trilogie sur le thème de la frontière américaine moderne. Ce dernier opus obtient le prix de la mise en scène à Cannes, preuve que Sheridan est aussi bon dans l’alignement des mots que dans le maniement de la caméra.

Le spectateur est plongé dans la réserve amérindienne de Wind River, une terre redoutable, rude et âpre, où le paysage enneigé et froid est un ennemi féroce, plus que les bêtes sauvages qui s’y cachent. Le deuxième long-métrage de Sheridan se veut une peinture monochrome d’une Amérique méconnue, où un peuple est forcé à (sur)vivre sur un territoire « où le viol est considéré comme un rite de passage pour les jeunes filles devenant femmes ».

Un personnage écorché et ténébreux

Plus qu’un thriller, le film est l’histoire d’un homme qui fait le choix du souvenir et de la douleur après une tragédie personnelle qui le hante, l’obsède et l’habite littéralement. Jeremy Renner est impeccable dans la peau de ce personnage écorché et ténébreux. Il prouve après de nombreux blockbusters franchisés (Marvel, Jason Bourne, Mission Impossible) sa capacité à se renouveler et à prendre des chemins plus ambitieux : Renner avait pu le faire récemment en suivant Denis Villeneuve dans Premier Contact ou James Gray dans The Immigrant. A ses côtés, la jeune Elisabeth Olsen confirme toute l’étendue de son talent, salué déjà unanimement dans l’ambitieux Martha Marcy May Marlene de Sean Durkin.

Taylor Sheridan imprime sur sa pellicule des plans fascinants, sublimés par le travail de son directeur photo Ben Richardson. On pense à The Revenant d’Alejandro González Iñárritu ou aux films virils plus anciens de Sam Peckinpah. Le scénariste se mue en un véritable cinéaste, tout en donnant la parole à des personnes que le monde préfère ignorer. La musique est à l’image de ces mots rares et de l’ambiance angoissante et tragique du film. Cela fait plus de dix ans que le duo Nick Cave et Warren Ellis compose d’inquiétantes trames sonores : La Route, Sans Loi ou Comancheria. L’association de leur talent parvient à créer une ambiance oppressante et poignante, en quelques notes de piano ou de violon, dans un monde où les pères n’ont pas le droit au moindre clignement d’œil sous peine de voir leur monde basculer dans la tragédie.

Entre enquête policière, film engagé et « revenge movie », Sheridan réussit à livrer une œuvre personnelle et intense, construite de manière surprenante et spectaculaire, oscillant entre poésie et violence, un film fort trouvant son rythme et évitant les clichés. Une vraie réussite portée par des acteurs donnant de la densité à des personnages complexes, forts et fragiles à la fois. Peut-être finalement terriblement humains ?