Le permis de conduire à perpétuité ?

En période d’élections présidentielles, on ressort les vieilles lunes des placards : la réforme du permis de conduire – avec l’éventualité de stages pour les personnes âgées – fait partie de la… nébuleuse ! La France et son permis acquis à perpétuité jouent les oiseaux rares en Europe : l’Allemagne a instauré des stages de recyclage ; l’Espagne, l’Italie et le Portugal obligent les conducteurs à se soumettre à des visites chez le médecin. Il y a quelque temps, il avait été envisagé de demander aux septuagénaires d’apposer un autocollant frappé d’un « S » majuscule sur la carrosserie de leurs véhicules. Etait-ce vraiment une bonne idée ? Non, répond Thierry Julian qui possède deux auto-écoles, l’AEB (Auto-Ecole de Bourgogne) à Dijon, et l’Auto-Ecole des Mille Bornes à Talant.

Le permis de conduire à vie constitue un non-sens aux yeux de ce sympathique et dynamique patron d’auto-écoles. Son argumentation : « C’est tout au long de l’existence qu’il faudrait instaurer des stages de remise à niveau. Et pas seulement pour les seniors de 75/80 ans ! D’ailleurs nos organes vieillissent rapidement, et l’acuité visuelle, le champ de vision, la rapidité des réflexes s’en trouvent perturbés. Des tests ont mis en évidence des faits significatifs : la résistance à l’éblouissement est de 10 à12 secondes chez un sujet de 20 ans. A 70 ans, elle atteint 4 minutes ! De façon générale, et dès l’âge de 25 ans la résistance à l’éblouissement diminue de 50% tous les 12 ans ».

Il faudrait faire évoluer la législation de la conduite automobile en prenant enfin en compte ces processus de vieillissement qui nous concernent tous ! Thierry Julian en fait son credo : « La route évolue, la signalétique et les réglementations aussi, tout comme les plans de circulation des villes de plus en plus complexes … L’arrivée du Tram, l’équipement informatisé des véhicules sont autant d’éléments d’adaptation pour chaque automobiliste. Voilà pourquoi, un continuum pédagogique est à inscrire d’urgence dans les programmes politiques. S’il est prouvé que les personnes âgées ne créent pas plus – et même plutôt moins – d’accidents que les jeunes générations, on devrait s’interroger après plusieurs petits accrochages. Jusqu’ici, le libre-arbitre est laissé à chacun. Mais nous, les auto-écoles, pouvons apporter un diagnostic à la demande d’un entourage inquiet du comportement au volant d’un vieux monsieur : une série de quelques leçons de code et de conduite constitue une remise à jour parfois suffisante. N’empêche qu’à un moment, il faut savoir raccrocher les clefs de sa voiture … J’observe que les gens qui quittent la campagne pour venir s’établir en ville sont également désemparés. Ils franchissent notre porte, expriment leur désarroi … C’est un moment de partage avec nos moniteurs, qui permet d’adapter notre pédagogie en fonction des besoins ressentis par ces nouveaux citadins de plus de 60 ans. Pour conclure mon propos, j’aimerais revenir sur la nécessité d’instaurer ce recyclage tout au long de la vie ; on a tous le sentiment de mieux conduire que son voisin. Nous sommes des coqs de village ! Stigmatiser une frange de la population en raison de son âge avec une signalétique spécifique me semble contraire à tout esprit d’humanisme. Jeunes ou pas, nous commettons à un moment ou un autre des erreurs que vont « rattraper » d’autres automobilistes plus attentifs et qui auront anticipé la situation. C’est vrai que les personnes d’un certain âge sont plus lentes et peuvent occasionner parfois de la gêne, principalement chez certains jeunes, eux, coutumiers d’une vitesse trop rapide et imprudente ! On doit pouvoir cohabiter sur la route. Il convient d’envisager la circulation dans nos villes, à la campagne ou sur les autoroutes comme une mutualisation des risques ou des capacités d’anticipation de tout un chacun. L’attitude au volant de l’ensemble des citoyens est à l’image de la société. Or, on déplore aujourd’hui une montée d’agressivité chez bon nombre d’automobilistes, notamment en ville … »

Marie-France Poirier