1,90 m, 104 kg et 54 ans… Alain Tchurukdichian incarne parfaitement le profil de ces quinquagénaires qui ont fait du sport une des composantes essentielles de leur vie. Rattrapé, bien malgré lui, par l’âge de la retraite sportive, ce chirurgien orthopédique, bâti comme ces héros grecs qu’on voit dessinés sur les vases antiques, continue de s’entraîner tous les jours. Avec une passion intacte.
Chacun dissipe comme il peut ses brumes matinales. Alain Tchurukdichian, lui, soulève de la fonte dès 5 h 30 du matin avant de démarrer une longue journée en clinique ou à son cabinet. Si on devait le comparer à une vedette de cinéma, on dirait qu’il a la force tranquille de Gabin et l’élégance de Fred Astaire. Il y a du feu dans chacun de ses gestes et, dans la pureté de son regard, une immense tendresse qui lui fait raconter sa vie sportive comme une aventure joyeuse.
Car le sport a toujours représenté un défi pour cet homme qui avoue des goûts simples et dont les aïeux ont fui l’Arménie pour échapper au génocide. « C’est grâce à lui que j’ai pu avancer dans la vie » concède-t-il avec beaucoup d’humilité. « Dès l’école primaire, il m’a permis de me confronter aux autres. J’ai commencé par la natation, avec le water polo, et c’est à 15 ans que j’ai débuté le rugby. Ca m’a plu tout de suite. Le rapport physique, le rapport de force, c’est ce que je recherchais. La musculation, on la faisait à l’époque avec des morceaux de bois ou des blocs de pierre ».
La première licence, c’est à Choisy-le-Roi qu’il la signe. Mais les années de médecine l’éloignent des terrains. Il renoue avec le ballon ovale à Clermont-Ferrand où il fait son internat. Il joue à Riom puis au Clermont Université Club. En 1995, il est nommé à Lyon, à l’hôpital Edouard-Herriot pour sa spécialisation, et signe à Saint-Bonnet-près-Riom jusqu’en 1997, à 34 ans. Un âge raisonnable pour arrêter le rugby. D’autant qu’une carrière, de médecine libérale, s’ouvre pour lui à Dijon, où il s’installe dans un cabinet privé.
La Fédération française de rugby lui retire sa licence à 52 ans
« C’est un patient, photographe officiel du Stade dijonnais, qui m’a invité à un match à Gaston-Gérard. Je ne connaissais pas le stade. Je me suis trompé de porte. Je suis entré dans un espace sur lequel débouchait les deux vestiaires. Quand j’ai entendu les crampons sur le carrelage et que j’ai senti l’odeur du camphre, j’ai compris que j’allais rechausser. J’ai vu le président du club qui m’a orienté vers l’entraîneur de la B. C’était reparti. Je suis resté un an au Stade dijonnais avant de rejoindre Genlis et le championnat de Fédérale. J’y suis resté 12 ans ».
A 40 ans, il rejoint l’équipe nationale d’Arménie grâce à… une annonce passée dans « Midi olympique ». Il évoluera dans une formation exclusivement composée de joueurs d’origine arménienne jouant en France et totalisera une quarantaine de sélections entre 2004 à 2012.
En 2010, retour au Stade dijonnais : « J’ai effectué 4 saisons avec l’équipe réserve et j’ai même caressé l’idée un peu folle de jouer un jour avec mon fils. Mais quand je suis passé senior, le verdict est tombé : la fédération a refusé de renouveler ma licence. J’avais 52 ans… ».
Alain Tchurukdichian reconnaît que ce fut un traumatisme. Lui qui avait toujours respiré le ballon ovale par tous les pores de sa peau, se voyait interdire l’accès au terrain. « J’aurais pu continuer tranquille dans une section rugby loisirs mais cela ne correspondait pas à ma philosophie. L’inactivité m’a fait prendre quelques kilos et, un beau matin, la glace de ma salle de bains a renvoyé une image que je ne voulais pas ». Et c’est comme ça qu’il a décidé de poursuivre une activité physique chez lui, dans la solitude de sa salle de gym.
« S’assurer du feu vert médical »
Faire du sport après 50 ans, c’est possible. Certes, Alain Tchurukdichain est un témoin un peu particulier. « Il suffit de le vouloir. La motivation est essentielle pour s’infliger des efforts à cet âge-là. Il faut d’abord bien se connaître et, bien évidemment, il faut s’assurer du feu vert médical pour savoir où en est. Les contrôles s’imposent : tests sanguins, test d’effort, bilan radiographique des articulations en fonction de l’activité que l’on va pratiquer. L’activité physique doit s’accompagner d’une hygiène de vie. Il faut éviter tabac et alcool. Pour ce qui me concerne, tous les matins, je fais du cardio et de la musculation pour garder une masse musculaire efficace. Je ne raffole pas de la course à pied et, le plus souvent, je fais mes trajets quotidiens domicile-travail à vélo ».
Ce qui ne l’empêche pas de regarder le rugby à la télé, dans son canapé, et de s’agiter comme s’il était sur le terrain…
Jean-Louis PIERRE