Tout ce quartier de l’avenue Jean-Jaurès et de la rue de Chenôve est l’objet d’un renouveau : les petits pavillons des XIXe et début XXe ont disparu – « même l’Intermarché a fermé, il y a quelques mois » expliquent les habitants. De nouveaux immeubles avec balcons vitrés ont pris possession des lieux en maîtres des temps actuels ; d’autres sont programmés. Seul îlot de résistance à la modernité ambiante, l’Express Bar qui continue de drainer toute une clientèle d’habitués haute en couleurs.
A lui seul, le café évoque l’univers photographié par un Doisneau des années 45/50 et revisité par un Blaise Cendrars. On se prend à vagabonder vers un monde, où l’arôme des expressos finit par se diluer dans les pronostics de turfistes invétérés, soudés au zinc. A L’Express Bar, vous avez rendez-vous avec une terre de poésie insolite. Inattendue. Hors des cybers espaces, des Lounge Bar ou des Starbucks. Vive et alerte, Agnès est employée ici depuis 25 ans. On sent qu’elle aime les mille et une tâches qui sont la trame de son quotidien : vendre des cigarettes, aller chercher dans le présentoir un journal ou un magazine qu’un client ne parvient pas à dégotter, servir un expresso. Quand un « Hop là, Agnès ! Un noisette, s’il te plaît » ne vient pas l’extraire du bout du comptoir réservé à la vente des jeux à gratter de la Française des Jeux, ou à celle des coupons du PMU. Rien ne saurait troubler ce lieu bon enfant, où tout le monde se connaît et aime échanger des « bons tuyaux pour les courses de cet après-midi ». Tenez, écoutez Djems tout à la joie d’avoir gagné « cent euros avec un Cash hier, et 60 euros aux courses avant-hier ».
On l’a compris : l’Express Bar abrite « son » cercle d’initiés, vieux ou jeunes d’ailleurs. C’est aussi un point de ralliement : « Si on n’avait pas ça, confie Daniel, c’est tout le quartier qui perdrait son âme ». L’établissement date des années 1930 ; à l’époque l’avenue Jean-Jaurès portait le nom d’avenue de l’Arsenal. Une photo très ancienne du café témoigne d’un quartier industrieux qui vivait de l’ancien port de Dijon. Aujourd’hui encore, des bribes de ce temps-là semblent s’attarder entre un mobilier de bistrot au charme suranné et surtout – oui surtout, et c’est délicieux ! – des rayonnages occupés par des dizaines de verres derrière un comptoir patiné par les ans, lustré par des milliers et des milliers de coudes de consommateurs. Enfin, télescopage des temps qui s’en vont et d’un avenir qui s’installe, on peut apercevoir, depuis sa table à l’Express Bar, un panneau d’affichage proclamant, juste à l’arrêt du Tram : Prochainement Votre Résidence « Plaisance »…
Marie-France Poirier