Un si tendre voyou…

En ce mois de novembre, sortent dans vos librairies une autobiographie, un livre de photographies et, cerise sur le gâteau ou pompon sur le haricot, un coffret DVD de trois longs métrages plutôt « légers » dans la filmographie d’un comédien révélé par la nouvelle vague et rapidement adulé par le grand public : Jean-Paul Belmondo. Oui, notre « Bébel » national se livre : l’homme au 130 millions de spectateurs dans les salles françaises, je sais de quoi je cause, j’y étais, et plus d’une fois. De Belmondo, j’ai vu tous les films, et la chair est loin d’être triste ; alors ne disons pas « hélas » mais plutôt « enfin » !

« Sur un fil, entre deux immeubles, de l’aile d’un avion au toit d’une voiture ou d’un métro, Belmondo a pris tous les risques. Des années plus tard, il en rit encore, l’œil brillant. Ces éclats de rire tonitruants, il s’en est toujours servi pour garder ses secrets : sa vie, ses rencontres, sa famille, ses amours, ses joies immenses et ses peines les plus grandes. L’acteur a aujourd’hui décidé de tout écrire : son enfance marquée par la guerre, sa mère courage, l’atelier de son père, et ses premières amours. Il nous entraîne dans les pas dilettantes de son service militaire en Algérie. Il nous invite aux comptoirs de la rue Saint-Benoît, pour y faire les quatre cents coups avec ses copains de toujours : Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort, Michel Beaune, Pierre Vernier, Charles Gérard. »
Jean-Paul Belmondo se raconte pour la première fois par les mots et les photos, dans deux ouvrages complémentaires, nous livrant la certitude que, oui, mille vies valent mieux qu’une !
Cet acteur immense et comédien infatigable a incarné une insolente modernité décontractée, tournant dès le début le dos au « cinéma de papa » sclérosé des années cinquante. En près de quatre-vingt films, il s’est imposé en héros idéal qui a eu la bonne idée de ne jamais trop se prendre au sérieux, contrairement à son frère d’arme Alain Delon : « Lui et moi, c’est le jour et la nuit. Mais depuis nos premiers pas, nous menons des carrières en parallèle au cinéma: nous sommes révélés la même année, 1960 (…), nous partageons des réalisateurs comme Jean-Pierre Melville, nous jouons souvent des personnages de gangster et/ou d’homme solitaire ». A Bout de Souffle (1960) de Jean-Luc Godard est le quinzième long-métrage de Belmondo (il a déjà tourné avec Marcel Carné, Claude Chabrol, Peter Brook, Alberto Lattuada et Claude Sautet) : son rôle de Michel Poiccard au côté de Patricia Franchini (l’incroyable Jean Seberg), vendant le New York Herald Tribune sur les Champs Elysées, le fera entrer dans la légende. Il enchaînera dans les années soixante avec des chefs-d’œuvre en tout genre : Un singe en hiver, Le Doulos, Cartouche, L’homme de Rio, Cent mille dollars au soleil, Pierrot le Fou, Le Voleur, La Sirène du Mississipi…
Pas de chef-d’œuvre parmi les trois films sixties réédités par Sidonis, mais le plaisir de retrouver la sublime Jean Seberg et l’iconoclaste Jean-Pierre Marielle dans Echappement libre (1964), une comédie d’aventure de Jean Becker qui nous fait voyager du Liban à l’Italie en passant par la Grèce et l’Allemagne, sur une musique de Martial Solal. Du même réalisateur, Tendre Voyou (1966) toujours avec Marielle : une comédie rythmée par les dialogues de Michel Audiard et la musique de Michel Legrand pour un face-à-face Belmondo/Noiret inattendu. Enfin le Peau de Banane (1963) de Marcel Ophüls, avec l’iconique Jeanne Moreau et le comique Claude Brasseur, trio au service d’un scénario rocambolesque sous influence du grand cinéma américain populaire.
Cinquante ans après avoir été ce tendre voyou, ce fils de sculpteur qui hantait avec son père les galeries du Louvre le dimanche, a quelques regrets de nature artistique : la déception de ne pas avoir pu adapter au cinéma avec Jean-Luc Godard le Voyage au bout de la nuit de Céline, et celle également de ne pas avoir pu jouer Jacques Mesrine, alors que Belmondo avait acquis les droits de L’instinct de la mort, l’autobiographie de l’ennemi public numéro un.
Mais l’ami public numéro 1 des Français est plus qu’un acteur : il est un comédien total, alternant films d’auteurs et films populaires, Duras dans le texte et cascades dans les airs, tournant la même année avec Godard et de Broca, Resnais et Verneuil, renaissant de ses cendres avec Lelouch, jouant Kean de Sartre après vingt-huit ans d’absence sur les planches… Oui, Belmondo c’est tout ça, et bien plus encore : une partie de nous-mêmes heureuse et émue dans ces mille vies qu’il nous donne à lire, à voir, à imaginer.
Raphael MORETTO

Mille vies valent mieux qu’une, Editions Fayard, 19,90€
Belmondo par Belmondo, Editions Fayard, 39€
Coffret Jean-Paul Belmondo, 3 films DVD chez Sidonis, 29,99€