Thierry Caens n’est pas homme à aimer porter smoking sur scène. Alors si cet homme de cœur, ce grand musicien plutôt du « genre tout terrain » a décidé de se mettre sur son 31 en 2016 à raison d’un concert par mois, c’est pour fêter ses 31 ans au service de la musique à la ville de Dijon et dans la région. Son parcours professionnel, son charisme qui lui dicte un engagement pédagogique au Conservatoire Régional de la musique comme dans les quartiers, son ouverture à toutes les musiques du monde – qu’elles soient « savantes » ou populaires – en font un interlocuteur avisé pour évoquer la 34ème édition de la Fête de la musique. Dijon L’Hebdo lui donne LA PAROLE à quelques jours de cet événement qui cultive partage et potentiel émotionnel de la musique. Oh ! Pardon, des musiques ! Née au solstice de l’été 1982, ce jour-là dans toute la France, la musique et le soleil au plus haut dans le ciel n’ont eu aucun raté à l’allumage !
DIJON L’HEBDO : Cette grande manifestation musicale a-t-elle gardé l’esprit de ses origines ? D’aucuns n’y entendent plus qu’une gabegie de décibels. En un mot, en a-t-on dévoyé le sens ? Ou, au contraire, mérite-t-elle d’avoir toujours pignon sur rue ?
Thierry Caens : Jack Lang et François Mitterrand ont eu là une très bonne idée, et ont été les maîtres d’œuvre d’un projet habilement politique : promouvoir une grande fête populaire sans débourser trop d’argent. Deux principes les ont guidés, en 1982. Le premier ? C’est de dire : « Vous êtes musicien. Vous n’avez pas eu l’opportunité de vous exprimer devant un public. Eh, bien vous en avez, là, l’occasion. Et ce, dans un esprit de liberté ». Quant à la seconde idée à faire passer ? La démocratisation de la musique en général et des concerts de musique classique en particulier. Ces derniers étaient à l’époque frappés au sceau de l’élitisme ! Cette éthique plus libre, ce climat d’une pédagogie plus ludique se sont frayés un chemin et perdurent aujourd’hui ! Ce serait dommage de censurer cette manifestation, sous couvert de certains comportements incivils qui se font jour et nuisent à une cohabitation harmonieuse de ce grand brassage musical. Je m’explique : la loi de celui qui joue le plus fort ne doit pas étouffer les autres. Voilà pourquoi, j’estime qu’il conviendrait d’organiser, ici ou là, dans les villes- mais Dijon le fait plutôt bien – des lieux susceptibles de convenir aux groupes musicaux qui affichent les mêmes contingences techniques ! Quand un musicien se livre à une musique électrique amplifiée, à de l’Heavy Metal, il est évident que tous les autres interprètes, jazzmen ou instrumentistes classiques, ne peuvent jouer à proximité …
Il s’agit donc de respecter la liberté d’expression de chacun, d’établir un modus operandi qui permettent au public comme aux orchestres d’être pleinement heureux ce jour-là. Je voudrais faire au passage une remarque personnelle : je n’ai jamais participé à aucune fête de la musique ; j’aime y jouer les simples badauds, allant de place en place, d’un jardin à l’autre. La raison ? Je me dis que j’ai le bonheur de jouer toute l’année et que c’est l’occasion pour moi de céder ma place. J’ajoute que c’est un peu le même état d’esprit qui guide l’Orchestre de Paris, présent toute l’année sur les plus grandes scènes du monde : il choisit en ce jour de la fête de se montrer « autre », « différent » en abordant un répertoire populaire. Qu’on soit néophyte ou pas, la fête de la Musique doit s’assimiler à une détente, à une brève parenthèse de vacances, histoire de s’aventurer sur des continents musicaux familiers ou, au contraire, mal connus. Tout en partageant ces moments d’émotion ou de frisson que procure la musique in live !
Marie-France POIRIER