Vice-président du conseil régional, Denis Hameau évoque, dans cet entretien, l’importance de l’Économie sociale et solidaire ainsi que l’innovation qu’elle est susceptible de porter. Il veut en faire à l’échelle de la grande région un levier de taille dans la bataille pour l’emploi d’aujourd’hui et de demain. Interrogé sur la loi El Khomri et la démarche d’Emmanuel Macron, l’élu PS dijonnais prend ses responsabilités…
L’Économie sociale et solidaire (ESS) est souvent présentée comme le parent pauvre des politiques publiques de soutien à l’économie. Qu’en est-il en Bourgogne Franche-Comté ?
Denis Hameau « Lorsque l’on fait la synthèse budgétaire de l’ESS, nous sommes à environ 8 M€ d’euros sur un budget total de 1,3 milliard d’euros. Evidemment l’ESS est aussi transverse mais au global ce budget reste faible. En revanche, quand l’on regarde ce que ce faible budget produit, l’on se dit que c’est un effet levier intéressant dans la logique d’insertion ainsi que dans celle des parcours pour retourner ou aller vers l’emploi. Ensuite, il existe un véritable foisonnement de l’innovation dans ce domaine. Nous devons arriver à le structurer. Pour ce faire, je travaille avec un certain nombre d’acteurs et experts afin de réfléchir à la création d’un générateur qui prendrait en compte la logique des personnes et de leurs parcours, la logique des territoires et de leurs besoins et la logique d’un entrepreneur qui, à un moment, a une idée mais qui a besoin d’être accompagné. Nous devons aussi favoriser la mobilisation de l’ensemble des fonds qui existent pour l’ESS. Il faut que l’on puisse réellement travailler en amont des politiques publiques, c’est-à-dire dans une co-construction avec les acteurs. Parce que l’ESS, ancrée dans le territoire, représente des emplois locaux ! »
Développer, innover et changer d’échelle, tel est le triptyque avancé par le conseil régional pour l’ESS… Pouvez-vous nous en dire plus ?
D. H. : « Développer en premier lieu, car l’ESS c’est d’abord de l’économie. Nous devons ainsi créer de la valeur. Pour ce faire, il faut aussi investir. L’ESS est en elle-même déjà un modèle innovant car les salariés, qui participent à la gouvernance, sont les bénéficiaires. Nous avons ainsi constaté que, dans la crise de 2008, le modèle de l’ESS a été plus résistant. Cette méthode de gouvernance a permis beaucoup de solidarité au sein de l’entreprise afin de faire les efforts nécessaires pour arriver à trouver les bons aménagements. N’oublions pas non plus que la richesse produite est réaffectée à l’activité. Comme nous sommes dans un champ où les expérimentations sont multiples, l’innovation est aussi sociale avec des idées nouvelles dans l’organisation, le service, les process de travail. Enfin, il faut créer les conditions pour changer d’échelle et cela passe par une plus grande structuration des politiques et des acteurs. Pour changer d’échelle, il faudra aussi véritablement se donner les moyens ».
Pourquoi avez-vous participé aux côtés du ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, à l’inauguration à Chalon-sur-Saône de l’Usine Idem. Une entreprise qui produit de la ouate de cellulose à partir de cartons recyclés et que l’on doit au groupe d’insertion côte-d’orien, ID’ÉES…
D. H. : « Cela démontre que l’on peut entreprendre autrement. Le groupe ID’ÉES, qui est solide, avec plusieurs milliers de salariés et un rayonnement à l’échelle nationale, a, à partir d’une activité de recyclage de cartons, inventé une solution destinée à l’isolation des bâtiments. Il est un acteur majeur de l’insertion et participe à la transition énergétique. C’est un exemple parfait de ce que l’innovation, dans le champ de l’ESS, peut produire dans une logique de concurrence ».
Vous n’y êtes donc pas allé pour montrer que vous marchiez aux côtés d’Emmanuel Macron, qui a bousculé le gouvernement en se déclarant « ni de gauche ni de droite » ?
D. H. : « J’y suis allé d’abord pour l’entreprise et l’ESS. Ensuite, je trouve toujours intéressant que quelqu’un questionne les habitudes politiques. La démarche est intéressante mais il ne faut pas être excessif. Il faut questionner et être le poil à gratter utile. De ce point de vue, Emmanuel Macron apporte des éléments sur lesquels nous pouvons réfléchir. Après, parfois il est un peu excessif et comme je reste de gauche, je conserve l’équilibre ».
Si vous aviez été député, auriez-vous voté la loi El Khomri qui a enflammé l’Assemblée nationale ainsi que la rue ?
D. H. : « Cette loi a été mal amenée. Une fois que l’on a dit cela, il faut constater qu’avec Christophe Sirugue notamment il y a eu un excellent travail de rapprochement des points de vue. Entre un patronat qui voulait aller trop loin et certains syndicats qui souhaitaient ne pas bouger, l’on a fait converger les points de vue. Je l’aurais votée car être politique, c’est être responsable. Alors qu’elle était là pour faire avancer le dialogue social dans notre pays, cette séquence politique a cristallisé les conflits. C’est dommage ! »
Le numérique représente également l’une de vos préoccupations majeures…
D. H. « Go’Up (ndlr : générateur d’entreprises sociales) travaille à une école pour les publics éloignés de l’insertion via le numérique qui devrait être lancée en juin. Nous allons, à la Région, accompagner cette initiative qui permet de lutter contre la fracture numérique. Et ce sont aussi des opportunités de demain pour des personnes qui n’ont pas réussi à l’école pour de multiples raisons mais qui peuvent, peut être, devenir des décodeurs de génie. Sur Dijon, j’ai travaillé à un projet de gestion centralisée de l’espace urbain, autrement dit comment l’on mutualise les grandes fonctions et comment on les rend plus coopératives. L’idée est de développer, à travers cette infrastructure, des services aux habitants et de créer un environnement favorable aux start-up, aux entreprises, parce que l’on disposera des réseaux, des data-centers… »
L’on voit bien que la co-construction est inscrite dans votre ADN. Est-ce comme cela que vous concevez l’action publique ?
D. H. : « Pour faire de la politique, il faut aimer la relation avec les gens, il faut avoir le courage de s’attaquer à la réalité, aux sujets posés et ne pas les nier. Il faut les appréhender, les comprendre avec les différents points de vue. Aussi faut-il avoir le courage de regarder la réalité ensemble. C’est en cela que la co-construction est essentielle. Cela permet de trouver des solutions. Les blocages sont souvent liés à des difficultés de dialoguer. Nous pouvons avoir des idées politiques différentes mais il faut poser les choses, se respecter dans la discussion et accepter d’écouter l’autre parce que, parfois, il a une partie de la réponse. Si nous faisons tous cela, nous arriverons probablement à mieux vivre ensemble ! »
Propos recueillis par Xavier Grizot