Concepteur de la future écocité du Jardin des Maraîchers à Dijon et du nouveau ministère de la Défense Balard à Paris, l’architecte-urbaniste Nicolas Michelin vient de publier le Manifeste A. Une contribution qui décoiffe ! Il faut dire qu’il dénonce « la prégnance des logiques financières » dans la construction et qu’il prône « une nouvelle fabrication de la ville ». Interview vérité…
Dans votre Manifeste A, vous évoquez le « mécontentement grandissant vis-à-vis de ce qui se construit en France ». N’est-ce pas exagéré ?
Nicolas Michelin : « Ce mécontentement se constate à toutes les échelles : que ce soit les mairies, les aménageurs, les architectes-urbanistes, les promoteurs… C’est un système qui n’est pas encore à bout de souffle mais qui est mis à mal par l’emprise financière. La construction est devenue un produit capitalisé. La méthode, en terme de ZAC, d’éco-quartiers dorénavant, n’est pas assez souvent satisfaisante parce qu’elle produit des choses inadaptées. Chacun se plaint dans son coin et jamais personne ne regarde l’ensemble de la chaîne ».
Pourquoi, selon vous, en est-on arrivé là ?
N. M. : « Lorsque l’on fait une opération, un concours est lancé. Et le projet choisi n’a de cesse de se dégrader au fil de la chaîne de réalisation. Après le concours, nous avons le permis qui est un peu moins bien puis les permis modificatifs. Et l’on voit que la qualité baisse, baisse, baisse… au fil du temps. C’est pour cela que la déception est là ! »
Les difficultés inhérentes à la maîtrise du foncier ainsi que la période de disette des financements publics ne sont-ils pas responsables ?
N. M. : « Effectivement, l’argent public se faisant rare, ce sont de plus en plus des opérations privées. Ce qui signifie que les modifications, nécessaires à réduire les coûts et, de facto, affaiblissant la qualité, sont prises plus rapidement. Le privé veut, en effet, entrer dans son enveloppe. Beaucoup de facteurs financiers entrent en jeux. Je ne veux pas jeter la pierre aux promoteurs. Il n’y a pas un seul responsable. Je dis simplement que nous assistons globalement à une espèce de financiarisation. Si chaque acteur se mettait autour d’une table pour maîtriser mieux les coûts et la qualité en travaillant parfois sur des projets un peu plus à l’échelle, un peu plus humbles, nous y arriverions ».
Dans votre Manifeste A, vous préconisez la mise en place d’ateliers pour faire évoluer la fabrication de la ville. De quel type d’ateliers parlez-vous ?
N. M. : « Aucun projet ne doit être fait dans un coin, puis le suivi dans un autre, etc. Il doit y avoir un atelier connaissant les exigences de chacun qui aide à trouver les bonnes solutions en amont, sur le cahier des charges et le programme, mais aussi en aval, sur le suivi du projet. Le promoteur est aussi intéressé par l’atelier car il peut faire entendre sa voix… mais il n’est pas tout seul à décider. C’est ce que j’ai découvert en travaillant dans différentes villes ».
C’est donc cette philosophie qui vous anime dans votre travail sur l’écocité du Jardin des Maraîchers…
N. M. : « C’est, en effet, avec cette méthode que nous avons pensé, avec la Splaad, l’écocité dijonnaise. Nous avons créé un atelier. Nous avons réalisé un plan-guide qui n’est pas figé mais qui fixe des invariances, c’est-à-dire des prises de position par rapport à la place de la voiture en ville, à la mixité de la morphologie urbaine, à la nature en ville, etc. Ensuite, il y a un appel d’offres pour choisir des promoteurs sur la base de ce plan guide puis l’on effectue le choix de l’architecte. Dans toutes les strates de cette écocité, nous fonctionnons en discussion, en synthèse et cela a très bien marché sur les premiers ilots ».
Vous êtes aussi l’un des chantres du Génie du Lieu…
N. M. : « La qualité n°1 d’un projet, d’un bel éco-quartier, d’un beau bâtiment, réside, selon moi, dans l’intégration du Génie du Lieu. C’est-à-dire qu’il reprenne l’histoire du lieu, la morphologie, le climat – s’il y a du soleil, on ne conçoit pas la même chose à Marseille qu’à Dijon –, les couleurs du paysage… L’écocité dijonnaise portera ainsi les anciens abattoirs et les maraîchers dans ses gènes. Un projet doit être remarquable mais on ne doit pas le voir… C’est ce que j’appelle l’ordinaire extra ! Soit une architecture contemporaine mais discrète, non ostentatoire et, dans le même temps, une qualité de vie, une qualité d’usage extraordinaires ! »
Propos recueillis par Xavier GRIZOT