Candidat en 1969 et 1974 à l’élection présidentielle, fondateur de la LCR (1), Alain Krivine était à Dijon pour un débat du NPA (2) portant sur la société actuelle et celle de Mai 68. Interview d’un éternel révolutionnaire…
Comment avez-vous réagi aux récentes révélations du Monde sur l’affaire des Panama Papers ?
Alain Krivine : « C’est une véritable tempête politique ! Même si l’on connaissait plus ou moins ce qui vient d’être révélé… Le gouvernement, qui est plus ou moins complice, répond par une petite brise. Malheureusement, nous ne mesurions pas l’ampleur du phénomène qui touche cette société capitaliste mais c’est un véritable tsunami. Cela ne fait que nous conforter dans notre anticapitalisme. Au moment où dans tous les pays, avec la gauche ou la droite au pouvoir, on réclame une austérité grandissante pour la population, une petite minorité fait absolument ce qu’elle veut et fraude avec des milliards ».
Autre sujet d’actualité : la loi El Khomri. Pourquoi avez-vous manifesté contre ?
A. K. : « Globalement elle touche tout le monde : les retraités, les salariés et les jeunes. C’est une loi qui va casser le code du travail, qui donne les pleins pouvoirs aux employeurs. Elle va conférer une priorité totale aux accords d’entreprise plutôt qu’aux accords de branche et à la loi. C’est une remise en cause historique du droit du travail, qui, aussi perfectible soit-il, a quand même été acquis après de longues luttes sociales ».
Les jeunes et les salariés se mobilisent actuellement. Retrouve-t-on aujourd’hui, dans la rue, les germes de ce qui avait fait Mai 68 ?
A. K. : « Il y a des points communs et de grandes différences. Nous assistons, comme en 1968, à un ras-le-bol généralisé, une révolte, un mouvement de masse et à une remise en cause totale du gouvernement. Cependant, la mobilisation n’est pas la même. Il n’y a pas encore un déferlement de la jeunesse. Nous avons aussi une classe ouvrière démoralisée qui a subi beaucoup de défaites. Nous n’assistons pas à un mouvement de grève générale – cela peut venir – parce que les syndicats et les partis ouvriers sont bien plus affaiblis. Aussi la conscience de classe n’existe plus. L’individualisme est omniprésent. Jusqu’où cela peut-il aller et qui politiquement va l’emporter ? Ce n’est pas gagné ! »
Même si aucune région n’a été remportée par le FN, le parti de Marine Le Pen n’est-il pas le premier bénéficiaire de cette situation ?
A. K. : « Les premiers vainqueurs de ce ras-le-bol sont en effet malheureusement l’extrême droite démagogique et populiste, parfois fasciste, qui existe dans tous les pays et qui se développe. A nous d’empêcher ce phénomène qui est très dangereux ! ».
Que répondez-vous à ceux qui pensent que la gauche n’a plus d’avenir en France ?
A. K. : « C’est tout le problème. Pour des millions de gens, la gauche ou la droite, cela ne veut plus rien dire ! François Hollande fait à peu près ce qu’avait proposé Sarkozy. Et parfois en pire ! La fille de Le Pen est beaucoup plus habile que son père et elle ne défend pas publiquement le capitalisme mais, sur le fond, elle est d’accord avec l’idéologie de l’extrême droite. Il faut, au niveau du NPA, répondre à cette crise qui touche tout le monde : quand l’on voit le nombre de candidats à la primaire à droite, quand l’on voit la crise qui secoue le PS, les Verts, le Front de gauche… »
Mais le NPA n’est pas audible actuellement…
A. K. : « Nous aussi, nous avons des difficultés à faire apparaître une alternative crédible à cette société qui soit enthousiasmante. Nous ne sommes pas électoralistes, au sens où nous n’allons pas à toutes les élections. Et lorsque nous nous présentons, ce n’est jamais pour faire croire que c’est par les élections que nous allons obtenir quoi que ce soit ! Mais il y a certaines élections qui jouent un certain rôle car elles sont des tribunes pour faire connaître nos idées. C’est la raison pour laquelle Philippe Poutou sera candidat pour le NPA à la présidentielle ! »
Avez-vous une recette cette fois-ci pour ne pas enregistrer à nouveau un résultat très faible ?
A. K. : « Il faut être très ouvert au niveau du débat car les gens se posent plein de questions. Il ne faut pas apparaître sectaire en échangeant avec la gauche, l’extrême gauche, avec les mouvement radicaux et associatifs. Dans le même temps, il faut imposer notre projet. Aujourd’hui, le problème réside dans le pouvoir. Regardez les Zapatistes au Mexique, Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne : ils ont échoué car ils ont mal posé le problème du pouvoir ! »
Rêvez-vous encore, comme vous l’avez écrit, d’un « nouveau Mai 68 qui réussisse » ?
A. K. : « Oui, parce que mai 1968 a été un soulèvement général qui a duré plusieurs semaines. C’est en ce sens que nous pouvons souhaiter un nouveau Mai 68 mais qui réussisse. Parce que la révolte de l’époque – politique, sociale, culturelle et idéologique – a débouché sur une victoire de la droite ! »
Vous pensez toujours, selon un célèbre proverbe de l’époque, que « la barricade ferme la rue mais ouvre la voie » ?
A. K. : « D’un certain point de vue oui ! Les barricades de 68 que nous avions d’ailleurs construite n’importe comment – certains ayant dans la tête la commune de Paris –, ont été érigées, à la fois, par un vieux mouvement ouvrier avec ses vieilles histoires et un nouveau mouvement qui apparaissait. Il faut essayer d’avoir un mouvement général de la population qui réussisse. Cela reste toujours d’actualité ».
Propos recueillis par Xavier GRIZOT