Moteur ! Ca tourne

C’est un coin tranquille et pépère de Dijon qui, tous les dimanches matins, braque un regard fasciné sur une scène digne des polars de Peter Chesnay : un jeune homme se penche avec amour sur une belle américaine des années 60, une Facel-Vega HK 500. Durant de longues minutes, il polit la belle robe métallique blue velvet, à l’aide d’une grande et souple peau de chamois couleur fauve. La toilette dominicale à peine achevée, et voilà notre amoureux qui démarre dans un feulement de moteur hollywoodien. C’est alors que la magie de la star, tout de chrome bijoutée, opère : le quartier se prend à rêver aux déesses Buick, Cadillac, Ford Mustang, Chevrolet Corvette, ou Pontiac. Le peuple du dimanche s’imagine s’engager sur Sunset Boulevard … Il est dix heures au carillon de Saint-Bénigne qui appelle les croyants pour l’office. Tous les croyants ? Y compris ceux qui adulent soupapes, moteurs, carrosseries et se projettent des road-movies sur l’écran de leurs pare-brise? Les sens interdits du Seigneur sont impénétrables.

Hourrah ! Le ciel peut se montrer divin : Dijon va célébrer – c’est une première en Bourgogne – une grand-messe, avec son premier salon Auto Moto Rétro les 19 et 20 mars prochains, au Parc des Expositions. On embarquera à bord d’une flotte de dream cars, pour contempler ou acquérir des automobiles, des motos anciennes présentées par des collectionneurs, clubs, associations, particuliers et marchands.

Depuis des décennies, dans l’Eden du parechoc et de la calandre, les hommes aiment de passion folle et … déjantée femmes et bolides. En rêve, ils osent se jouer des lois de la société. Comment se traduit pour les régies publicitaires – inspirées par les psychanalystes, les sociologues – ce télescopage des testostérones et de l’Aston Martin à la James Bond ? Ce cercle des scrutateurs de nos inconscients contemporains mise sur le concept de la voiture, marqueur social et symbole phallique par excellence. Pensez aux spots publicitaires TV, vantant avec humour la Fiat 500X et son effet Viagra… Zapping encore sur une séquence «érotico-mobile» avec l’amour en turbo diesel Citroën. Le tout ponctué par ce slogan subliminal à la Sacha Guitry : «Vous n’imaginez pas ce que Citroën peut faire pour vous !» Aux dires du marketing de la firme aux chevrons, 2% des téléspectateurs auraient succombé à la nécessité de l’achat dans l’immédiat. Mazette !

De là, à penser que la pub ne fait que rarement fausse route … Dans nos sociétés modernes, les Don Juan ont des épouses, parfois virtuoses du volant dans « la vraie vie ». Pourtant, l’accent est délibérément mis sur la conduite « raisonnée » et responsable des femmes. La pub évite de les présenter en amazones… Les manitous de stratégie publicitaire trouvent plus juteux de jongler avec les stéréotypes classiques, quand il s’agit de vendre des modèles adaptés au quotidien des ménages de la classe moyenne: les femmes, dès leur prime jeunesse, sont censées rêver de voitures familiales qui roulent plus propre et qui sont spacieuses, conviviales. Les « ménagères » de 30 ans et plus évolueraient dans le partage, bien avant d’être mères de famille. Un peu réducteur, non ?

L’automobile ne s’aventure sur les autoroutes du mythe, que lorsqu’elle véhicule des désirs inavouables ou des passages à l’acte « qui ne se font pas »… La voiture est « la » grande création des temps contemporains, conçue passionnément par de grands ingénieurs, des carrossiers de talent, ou des designers qui se donnent les ailes et les rêves d’Icare. Les gros plans de l’idole démultipliée dans les pages de pub, sur les écrans télé, ou dans les films d’action sont vénérés à l’unisson par des foules entières. A la croisée des rêves les plus fous, les plus osés, la voiture ne vous déroutera jamais. C’est vous qui conduisez, mais c’est elle qui vous pilote…

Marie France POIRIER